Just the Wind s’ouvre sur un carton informatif rappelant, à toutes fins utiles, des chiffres récents sur les crimes commis en Hongrie contre la minorité rom. Prudemment, le carton précise que le film ne reprend aucun élément de faits réels — mais l’appât, celui du sujet grave qui drape a priori l’auteur de courage, est bien mis en place. Il a déjà commencé à fonctionner, au festival de Berlin 2012 d’où le film est reparti avec un Ours d’argent (Grand Prix), le prix de la Paix et le prix Amnesty International. Palmarès bien flatteur qui s’apparente à une rançon, tant le traitement du sujet se révèle une prise d’otages des plus sournoises et des moins justifiables.
Très sommairement résumé, Just the Wind conte la journée des membres d’une famille partant chacun vaquer à ses occupations le matin et rentrant à la maison le soir. Ce pourrait être un avatar hongrois du récit mis en place par Alejandro Fernández Almendras dans son beau Huacho, celui du combat quotidien de gens ordinaires. Mais le carton inaugural nous l’a asséné : ces gens-là ne sont pas des gens ordinaires (pas aux yeux du film, en tout cas), ce sont des Roms, victimes annoncées autour desquelles la mort rôde, puisqu’on nous répète également à plusieurs reprises que récemment dans leur voisinage, des familles entières de cette ethnie ont été assassinées. Il est donc écrit que leur journée se passera dans la peur, tandis qu’ils traversent prudemment les bois épais qui les séparent du monde, passent et repassent devant et sur les lieux de ces crimes, constatent le peu d’empressement de la police à chercher les coupables, tâchent de s’intégrer au sein de la majorité mais s’esquivent quand celle-ci montre son vilain visage (une femme instable, un viol dans le vestiaire d’un lycée…), tout cela avec une fâcheuse propension à baisser les yeux vers le sol et en espérant pouvoir émigrer très bientôt au Canada.
Les embûches du cinéaste
Au fil du montage alterné de la journée semée d’embûches de chacun, l’illustration du « mur invisible » qui isole les Roms formule un suspense et des questions des plus obscènes, car privilégiant le voyeurisme au-dessus de la conscience du sujet : rentreront-ils tous vivants à la maison ? Pourront-ils rejoindre les leurs au Canada ? Quand les assassins vont-ils frapper (à moins que la menace ne vienne d’autres Roms, comme le fait craindre un moment cette altercation devant un café) ? Le cinéaste Benedek « Bence » Fliegauf ne lésine pas sur les chausse-trapes pour faire durer l’attente, à l’adresse de ses personnages mais aussi du spectateur : coups de force à la morale par des scènes tout à fait dispensables pour la démonstration (le viol, froidement filmé ; l’altercation du café), longs plans sans paroles ni musique à travers la nature trompeusement tranquille (d’où le titre « ce n’est que le vent »), usage sournois du hors-champ (comme celui qui précède l’apparition du cadavre qu’un personnage a découvert). Derrière l’apparente économie technique dont la caméra portée donne l’illusion, on voit bien les tours de passe-passe du réalisateur avec notre regard. Il aura beau jeu d’expliquer qu’il s’agit, par ce parcours du combattant savamment mis en scène, de faire ressentir le climat de peur qui pèse sur ces parias. Mais ce serait difficile d’y croire. Car la peur inhérente à la situation de telles victimes d’exclusion n’est pas seulement celle d’être tué : s’y ajoute aussi, fatalement, l’épreuve de faire face à une force qui les refuse parce qu’ils sont là, qui leur reproche leur seule existence. Toute l’horreur du racisme et de la violence que celui-ci véhicule ne vient-elle pas de là ? Au lieu de quoi la peur que la mise en scène travaille n’émane que de celui-ci créant elle-même, par ses petits effets, le hors-champ, l’inconnu, le choquant : c’est de l’artisanat de petit thriller peu assumé, car drapé dans son grave sujet touchant aux droits de l’homme.
La fin du film ne prendra au dépourvu que ceux — chanceux ! — qui n’ont encore jamais eu à endurer de tels ouvrages de petits malins prompts à signifier leur radicalité par des coups de force. Tout au plus surprend-elle en prolongeant sans vergogne, au lieu de le résoudre, l’infâme suspense entretenu jusque-là (ce personnage qu’on ne voit plus a‑t-il survécu ou non ?). De quoi confirmer, définitivement, que le savoir-faire roublard de Fliegauf à nous faire suivre le calvaire de ses personnages victimes n’est pas animé de la plus élémentaire sincérité (celle qui devrait motiver son regard sur ce drame dont l’horreur intrinsèque touche jusqu’au genre humain), mais d’un désir de satisfaction de virtuose bien méprisable.