Si l’agence de renseignement CIA a hérité, dans l’inconscient collectif, a endossé un rôle de symbole de l’impérialisme américain hors de ses frontières, la réputation de son homologue israélienne non moins efficace, le Mossad, est entachée de quelques échecs retentissants. On se souvient notamment de l’ « affaire de Lillehammer », soit l’arrestation en 1973 d’agents responsables d’un assassinat par erreur en Norvège, en représailles à la prise d’otages meurtrière des J.O. de Munich. Inspiré de cette notoriété peu flatteuse, Kidon, coproduction franco-israélienne où on parle les deux langues et l’anglais, se veut bien plus léger que la réalité, s’avançant comme une comédie d’espionnage de haut vol où se culbutent assassinat non assumé, agents « brûlés », ordinateur à pirater et diamants à croquer. Du Mossad, on verra essentiellement une salle de conférence remplie de gens embarrassés luttant pour ne pas être dépassés par des événements qu’ils sont bien en peine de maîtriser.
Ne pas attendre, néanmoins, de portrait plus irrévérencieux que cela de l’institution. Moins du côté de la machine prise en défaut que de celle, plus réduite, qui la prend en défaut (constituée par les têtes d’affiche), le film d’Emmanuel Naccache affirme vite ses intentions : reproduire le plaisir superficiel d’assister à une mystification se voulant élégante et virtuose, sur le modèle des exercices américains du genre, entre les Ocean’s de Soderbergh et Basic de McTiernan (pour la conclusion aux allures de démantèlement). Citer ces références ici n’est pas une grande révélation : bien que les événements de la première moitié de Kidon manifestent un certain esprit de sérieux, le film lui-même distille assez de signes de distanciation (usage de la musique décontractée un brin exotique, impavidité de la tête d’affiche Tomer Sisley…) pour renvoyer implicitement à de telles références et suggérer, tôt, qu’il y a anguille sous roche et embrouille dans le sac.
Volatilisés
L’entreprise est de courte portée, mais pas désagréable — et vice versa. Pas désagréable parce que jamais prétentieuse, chiche en effets de manche, plutôt candide dans son maniérisme et sa façon — même très limitée — de jongler avec les fragments de temps (multiples retours en arrière) et d’espace (fréquence des split screens), un peu à l’image de ce technicien du Mossad manipulant les données sur un écran tactile géant. Entre les films d’arnaque susmentionnés, les thrillers formalistes des années 1970 et jusqu’à ce petit gadget clignant de l’œil à Minority Report, Naccache ne dissimule jamais son petit plaisir de faire « comme dans…», et on ne saurait le lui reprocher — du moins pas sur cette seule base. Il n’empêche que le spectacle qui en résulte ne dissimule pas non plus à quel point il reste creux. Les références manifestées, comme on l’a dit, assez tôt ne laissent guère de doute sur l’éventualité de révélation finale de grand enfumage, et laissent ainsi le spectateur dans la position passive et assez ennuyeuse d’attendre, pendant une bonne partie du film, la chute. C’est d’autant plus perceptible que, tout à sa tâche de mettre en scène le tour de passe-passe, Naccache en a oublié de creuser tant soit peu des enjeux autrement intéressants pour ses scènes et ses personnages.
Dans cette mécanique bien huilée, les rouages sont d’un intérêt très inégal. Les scènes dans la salle de conférence du Mossad, où les serviteurs du renseignement découvrent avec effarement un engrenage ayant échappé à leur vigilance, restent les plus savoureuses, mais de peu, tenant pour beaucoup aux dialogues empreints d’une ironie fort peu protocolaire et à l’animation des comédiens, notamment l’excellente Reymonde Amsellem. À l’extérieur, du côté des agents franc-tireurs, c’est nettement moins probant, peut-être à cause d’un casting misant un peu trop sur la notoriété des interprètes, la pose dans laquelle on les connaît habituellement, et pas assez sur l’usage détourné qu’on aurait pu en faire (Naccache aurait mieux fait de s’inspirer de Hitchcock sur ce point). Si Tomer Sisley ne force pas trop son talent en nous resservant un vague ersatz de Largo Winch, ce sont plus encore ses partenaires novices de cinéma et se rabattant sur leurs atouts d’apparat (la top-model Bar Refaeli au glamour de papier glacé, mais on pense surtout à l’humoriste Kev Adams et ses mimiques de show) qui sont à la peine pour donner corps à leurs personnages. En somme, la conclusion de Kidon est assez fidèle au sentiment qu’il laisse : mieux vaut laisser s’évaporer les détails gênants, pour oublier le tout.