Kirikou, à bientôt quinze ans, n’a pas pris une ride. Son créateur, Michel Ocelot, a même inversé le cours du temps. Récit d’initiation, la première des aventures, Kirikou et la sorcière (sorti en 1998), voyait le facétieux et rusé petit garçon devenir un beau et courageux jeune hommes. Comme dans Kirikou et les bêtes sauvages (2005), ce nouveau volet revient sur l’enfance du personnage. Michel Ocelot reste fidèle à la forme du conte qu’il a développée dans Princes et princesses ou dans Les Contes de la nuit, et raconte ainsi cinq aventures de Kirikou avec les hommes et les femmes de son village.
Dans son petit village peuplé d’irréductibles Africains, Kirikou mène une vie hors de tout repère historique qui n’interdit pas, loin de là, l’invraisemblance du retour en arrière. Le décalage avec la réalité est partout présent. Par sa taille, par sa prodigieuse vitesse de déplacement, par ses qualités de ruse aussi, de sagesse et de répartie, Kirikou est un personnage de fable. Dans un décor extrêmement épuré, aux fonds de couleurs vives et unies, le petit garçon aide ses contemporains à tirer les leçons de leurs défauts.
C’est toujours le vieux griot qui nous accueille dans sa grotte d’un bleu scintillant et qui intervient entre chaque récit. Non seulement son rôle est de fournir une adresse directe au public, créant ainsi un sas entre le monde réel et le monde merveilleux du film. Mais aussi, comme dans les comédies de l’âge d’or hollywoodien, qui prenaient soin de ménager des moments sans dialogues pour laisser à l’auditoire le loisir de rire bruyamment, les interventions du conteur permettent au jeune spectateur de chanter ou de se remémorer l’épisode qu’ils viennent de voir.
La magie s’intègre avec naturel dans ces histoires quotidiennes, puisque le récit lui-même intervient comme une forme de pouvoir. Qui saurait triompher de l’abominable Karaba, sinon une griotte chevronnée, qui parvient à se libérer de l’emprise de la sorcière en la charmant par ses récits ? Le charme, c’est aussi celui de l’image, qui a le pouvoir de jouer sur les apparences. La forme bleue qui se cache derrière les buissons n’est pas le monstre que croient les enfants ; déguisé par Kirikou, le vieillard du village est pris pour un arbre par les villageois, tandis que les fétiches, fidèles serviteurs de Karaba, le confondent avec un arbre mort vêtu de sa tenue. Le cinéma enchante par son jeu avec la réalité, mais aussi par ce qu’il extraie du monde des couleurs, des musiques enchanteresses.
Michel Ocelot avoue que le film n’aurait pu se faire sans son équipe de « bons sorciers ». Ces émissaires, loin d’être employés à une débauche d’effets visuels, appliquent leur art à rendre au mieux les éléments naturels : le souffle du vent, la sensation de la moiteur de l’air, puis de la pluie qui tombe sur la peau des enfants après une longue période de chaleur, les sensations de la nuit, l’infini du désert… Le réalisateur aime à répéter qu’ayant longtemps travaillé de manière artisanale et regretté ce cruel manque de moyens techniques, il accueille avec bonheur les technologies nouvelles Ainsi, on retrouve le rendu de l’image du tout premier Kirikou, alors même que la technologie utilisée a complètement changé. Les images de synthèse ainsi que la 3D, mais une « 3D plate », comme il le précise, dont il se sert comme d’une caméra multiplane, inventée dans les années 1930 pour créer de la profondeur dans l’image animée en filmant sur des plans différents des dessins et des décors plats. C’est bien entendu grâce au succès immense de Kirikou que Michel Ocelot a accès à ces techniques sophistiquées de travail, et il n’entend pas trahir son personnage. Tout le potentiel de la technologie est utilisé pour affiner le travail sur les mouvements, les textures des décors, ou permet d’insérer plusieurs fois un même dessin pris sous des angles différents. Décors unis, images dépouillées : Kirikou reste fidèle à lui-même. Paradoxalement, alors que les dernières technologies sont employées pour le film, chaque petite histoire indépendante semble être le récit de la fabrication du film : l’histoire de la griotte parle de récit, celle du Touareg parle de couleur, et la dernière, enfin, nous montre comment Kirikou fabrique une flûte et apprend à jouer, jusqu’à créer lui-même la musique du film. Si la technique se présente donc comme un outil qui facilite le travail, la principale source d’inspiration de Michel Ocelot reste l’univers de la fabrication artisanale.