C’était prévisible : ni les admirateurs de la pièce de Jules Romains, ni les allergiques (que nous tendons à être) à l’académisme régnant dans le divertissement français ne trouveront leur compte dans ce nouveau Knock. Toute à son adaptation, Lorraine Lévy tâche à la fois de restituer les morceaux de bravoure de la pièce — l’enfumage élevé au rang d’art par un mystérieux médecin aux dépens de la communauté où il vient de s’installer — et de créer au personnage homonyme une histoire, un passé, de vagues motivations, des sous-intrigues. Impossible dès lors de parler de respect de l’œuvre originelle, même — et surtout pas — de son esprit. Venu de nulle part pour régner en maître sur les âmes, le Dr Knock de Romains est une entité plus proche du divin ténébreux que de l’homme, sorte de Charlatan Ultime à la communication rodée et à la faculté insensée de jouer sur les peurs inavouées et l’esprit de soumission des victimes qu’il appelle « patients ». Par le récit de ses exploits rhétoriques qui lui assurent l’emprise sur tout un canton, la pièce décrit avec un ricanement grinçant la dérive d’une société jouet des diverses formes de propagande (publicitaire, idéologique, etc.) accompagnant immanquablement ce qu’on appelle le progrès. En tentant de faire de ce dieu de la réclame un personnage humanisé, en recentrant le récit sur son parcours à lui, Lévy ne pouvait que sacrifier en chemin le charme du matériau d’origine.
Et pourtant, une telle trahison ne condamnait pas à elle seule le film à être raté. En particulier, réactualiser le registre d’interprétation de la rouerie de Knock (autrement dit : passer de Louis Jouvet à Omar Sy), soit l’incarnation contemporaine de l’autorité du verbe sur le peuple, n’était pas une mauvaise idée. Le bagout, canalisé dans le professionnalisme appliqué au rôle de composition, de la star d’Intouchables se révèle une alternative tout à fait honorable à l’interprétation canonique de Jouvet, même si Omar Sy la joue plutôt facile, adoptant une posture qu’on lui a déjà connue, notamment dans les spots de pub qu’il a tournés pour une certaine marque de boisson gazeuse (le doigt levé, « expérience exigée »). S’agissant d’un personnage qui vend sa supposée science par une rhétorique somme toute publicitaire, cette expérience retrouvée dans le jeu du comédien ajoute une certaine saveur à ses séances de retournement de cerveau.
Ça grattouille violemment
Si Knock finit par tomber K.O., c’est sous le poids de tout le reste, tout ce dont Lorraine Lévy a choisi d’enrober les exploits du docteur. Le problème est que la réalisatrice se cantonne à illustrer un scénario dans les trouvailles duquel elle se montre trop confiante. Les origines révélées du protagoniste (un ancien filou fuyant un créancier violent) s’avèrent complètement anecdotiques, cependant la cristallisation à laquelle elles contribuent autour de Knock semblent condamner tout autre personnage à ne présenter aucun intérêt, voire — pire — à être sous-joué sous le prétexte de la satire du peuple crédule ou arc-bouté sur ses certitudes (comme l’insupportable curé campé par Alex Lutz). Les autres péripéties de ce nouveau scénario ne sont guère plus intéressantes : convoitises et jalousies téléphonées, une idylle fade, une résurgence du passé jamais vraiment inquiétante.
Ce qui laisse plus perplexe encore, ce sont les tentatives tournant court du film de se donner un air pertinent vis-à-vis de l’Histoire et du présent, entre une poignée d’allusions anachroniques neutralisées à la rhétorique sociale d’aujourd’hui (« créer du lien social », « travailler plus pour gagner plus ») et des détails historiques aussi décoratifs que les belles carrosseries d’époque dans les rues pavées proprettes (le temps du film a été déplacé dans les années 1950, un personnage a été dans la Résistance : et alors ?). Dans le même esprit de velléité lancée dans le vide, il esquisse du bout des lèvres des allusions implicites mais évidentes à la « différence » du mystérieux Knock dernier cru (sa couleur de peau), sans jamais pousser plus loin la réflexion sur ce rapport à l’étranger, comme s’il approchait un tabou. En somme, il y a plus pénible que de voir altérée la satire originelle de l’escroquerie au service de la science. C’est de la voir transformée en un spécimen aussi mal fagoté de feel-good movie industriel français, où la force publicitaire manifestée par le protagoniste ne fait plus que venir à la rescousse de celle, molle, du film lui-même, jusqu’à une conclusion qui opère le pire contresens avec l’œuvre d’origine : alors que chez Romains le consensus créé par la manipulation des masses s’avère indéniablement glaçant, chez Lévy le diktat du happy-end exige que ce soit la masse qui réclame l’acceptation de Knock parmi eux, puisqu’au fond il est là pour leur bien. On n’assiste plus à la création d’un ordre nouveau critiquable, mais à un retour de l’individu à l’ordre existant consensuel. La voilà, l’ultime trahison.