Le moins que l’on puisse dire, c’est que Yann Samuell est un réalisateur constant dans ses choix scénaristiques et esthétiques. Ceux qui se souviennent avec peine de l’affreux Jeux d’enfants (2003), comédie plongée dans le formol où Guillaume Canet et Marion Cotillard interprètent des amis d’enfance qui passent leur vie à jouer à « Je t’aime, je te hais », reconnaîtront dans L’Âge de raison la même fascination pour l’espièglerie, l’imagination et la sagesse des enfants, pour les coups tordus du destin et pour les filtres sépia et autres effets spéciaux bricolés, entre Jean-Pierre Jeunet et Michel Gondry du pauvre. Sept ans se sont écoulés entre les deux films et rien n’a vraiment changé dans le monde de Yann Samuell : tout sonne faux et creux, figé dans un idéalisme de pacotille qui sent la naphtaline, plein de bons sentiments écœurants et d’un sentimentalisme nauséabond.
Pourtant, le sujet malicieux de cette comédie a priori idéale pour les soirées d’été rappelle certaines sucreries hollywoodiennes 80’s un peu kitsch dont on aime parfois s’empiffrer, de Big à Working Girl. Margaret (Sophie Marceau) est une redoutable femme d’affaires, carriériste et impitoyable, qui semble ne s’épanouir que dans la compétition, y compris dans sa relation avec son collègue et amant, Malcolm. Mais un beau jour débarque un vieux notaire, Mérignac, qui vient lui remettre un paquet contenant plusieurs lettres que Margaret a écrites enfant, alors qu’elle s’appelait encore Marguerite. La petite fille d’alors s’était jurée de rappeler à l’adulte qu’elle allait devenir les promesses qu’elle s’était faites…
On imagine bien la version américaine, avec Jennifer Aniston ou Drew Barrymore dans le rôle, et on en frémit d’avance. Il n’y a pas de quoi bomber le torse en poussant des cocoricos, pourtant : s’il faut bien admettre que Sophie Marceau est ce qui s’approche le plus, chez nous, du statut de vedette populaire telle que l’affectionnent les médias outre-Atlantique (tendance Julia Roberts et Sandra Bullock), la comédienne a encore des progrès à faire niveau abattage et timing comique − on ne s’étendra pas sur ses capacités dramatiques, carrément irrécupérables malgré Pialat et Zulawski. Las : l’actrice a beau en faire des caisses pour faire croire à son personnage de garce autoritaire transformée en femme de cœur, on reste sec. Il faut dire que le scénario, gluant à souhait, ne l’aide guère. Préférant à la folie indispensable à ce type d’exercice une tonne de bons sentiments, Yann Samuell se fait moralisateur et substitue à la comédie acerbe espérée une succession d’images d’Épinal dignes d’une leçon d’humanisme à la Yann Arthus-Bertrand : à ce titre, le final vaut son pesant de cacahuètes… Chaque conte de fées révélant une part sombre et psychanalytique, la morale de l’histoire aurait pu tutoyer une réalité sociale que Samuell se contente d’évoquer de façon prudente et décontextualisée, lissée par une esthétique éculée à base de filtres marrons et jaunâtres qui désensibilise le propos. On ne croit alors en rien de ce qui nous est montré et le triomphe final de l’héroïne, redevenue Marguerite, sonne moins comme une revanche sur son passé que comme le prolongement de la pétasse en tailleurs qu’elle était au début du film. On en vient presque à se demander si le capitalisme décomplexé de Margaret n’est pas moins cynique que l’engagement humanitaire aux relents colonialistes de Marguerite, c’est un comble…
On louera les maigres efforts du scénario pour éviter quelques écueils du genre : le compagnon/collègue de Margaret n’est pas le businessman froid et calculateur que l’on pouvait redouter ; l’amour d’enfance de Marguerite, Philibert (pauvre Jonathan Zaccaï, qui a vraiment mieux à faire dans le jeune cinéma français, celui de Joachim Lafosse ou Thomas Lilti) n’est pas le Prince Charmant providentiel attendu. Mais cela est bien insuffisant pour faire L’Âge de raison autre chose qu’une comédie bêtasse programmée pour le prime-time.