Un peu de nostalgie télévisuelle pour commencer. Création de Frank Lupo et Stephen J. Cannell, la série L’Agence tous risques ne tient qu’à une formule, addition d’archétypes, de répliques et de situations, répétée inlassablement d’un épisode à l’autre pendant quatre ans sans jamais laisser espérer une quelconque variation — que d’ailleurs aucun téléspectateur de l’époque (1983 – 1987) ne lui demandait. Soit un groupe de quatre mercenaires typés à surnom (le vétéran stratège, le beau gosse, la brute au grand cœur et le doux dingue) visant principalement pour clientèle la veuve et l’orphelin. Tout épisode se structurait à peu près autour des étapes suivantes : 1°) la veuve et l’orphelin contactent la bande pour demander son aide ; 2°) la bande monte un plan d’attaque à base de tactique, de ruse et d’ingénierie improbable ; 3°) le bouquet final, le combat dopé aux explosions, aux rafales de mitraillettes et aux vols planés au ralenti, et qui miraculeusement ne fait jamais le moindre mort. Bref, un pur divertissement de routine foraine et virile (les femmes y sont plus des sources de distraction qu’autre chose) offert en pâture au téléspectateur des années 1980, où on fait beaucoup de vannes, de bruit et de flammes (les mêmes à chaque épisode) et où rien ne prête à conséquence ni à interrogation.
Avec ses gimmicks répétés à l’envi, ses héros schématiques devenus des schémas à eux tous seuls, ses réglages de scènes d’action et de pyrotechnie qui n’appartiennent qu’à leur époque, voilà un objet qui prêtait bien le flanc à l’impitoyable étiquette « ringard », propre à inciter scénaristes et producteurs à user d’artifices douteux de mise à distance du matériau d’origine pour contourner le problème de son adaptation à l’usage des années 2000. D’autres séries, qui n’avaient que les torts d’être de leur temps et d’attirer les producteurs d’aujourd’hui comptant sur le public le plus nostalgique, ont déjà fait les frais de tels procédés aux effets hasardeux : artifices scénaristiques alambiqués et stériles (Ma sorcière bien-aimée), parodie plus ou moins inspirée (Starsky & Hutch, Shérif fais-moi peur), délires abyssaux (Chapeau melon et bottes de cuir)… Mais contre toute attente (ou presque : à l’image de l’actuelle amorce de retour du film d’action bourrin quelque peu mis en berne après le 11-Septembre, comme la réapparition de Mel Gibson en bulldozer vivant dans Hors de contrôle cette année), l’adaptation d’une des séries télévisées les plus emblématiques des années Reagan riches en testostérone, L’Agence tous risques, surprend par sa façon de prendre son matériau au premier degré, ou peu s’en faut. les entrepreneurs de l’adaptation de L’Agence tous risques surprennent en décidant fermement de faire d’une série d’action over the top un film d’action over the top prenant le matériau d’origine au premier degré — ou peu s’en faut.
À premier degré, premier degré et demi
Le film (en fait une sorte de faux pilote de série, s’intéressant, comme le veut la tendance actuelle des adaptations de franchises, à la genèse de l’A‑Team) ne se contente évidemment pas de vendre du vintage et de singer les Eighties, mais tâche plutôt de remettre au goût du jour le concept un peu daté et d’en secouer les formules pour tenter d’en faire du cinéma… tout en continuant de faire des clins d’œil à peine narquois à l’esprit pompier et conquérant post-Vietnam de la série. Le produit de divertissement qui en résulte semble alors courir deux lièvres à la fois. D’un côté, il fait le boulot que les fans attendent de lui, alignant avec entrain les gimmicks familiers (Hannibal, tout sourire barré par un cigare, « adore les plans qui se déroulent sans accroc », Barracuda déteste l’avion et se méfie de Looping, etc. : tout y est, et pour cause, tout se résume finalement à pas grand-chose) et réactive même, pour le jeu, patriotisme suranné et camaraderie de bidasse dont personne n’est dupe du caractère conventionnel. De l’autre, il joue la mise à jour du programme A‑Team selon les attentes du public américain des années 2000, à commencer par un peu plus de réalisme : il y a donc des morts, quelques « fuck » fusent, le Viêt-Nam est sans surprise remplacé par l’Irak, l’intrigue se balade autour du monde et il y a même un personnage de femme forte (parce qu’il en faut bien une : le rôle campé par Jessica Biel reste quand même plutôt ingrat).
Un double jeu qui se retrouve aussi à un autre niveau : l’équilibre que le film tente d’établir entre surenchère d’action et approfondissement des tenants et aboutissants (personnages, intrigue). Le choix du réalisateur et coscénariste Joe Carnahan pour piloter l’engin est tout sauf anodin, à défaut d’être judicieux : cette intention de contorsionniste, l’individu en avait fait la prétention de son précédent film — celui-là initié par lui seul — Mi$e à prix. Le résultat fut déplorable. Ici aux manettes d’une commande dédiée à d’autres intérêts que son seul ego, il ressert le même numéro de jonglerie cette fois encadré par le cahier des charges : si le résultat paraît évidemment moins prétentieux que dans Mi$e à prix, il n’en est pas plus convaincant pour autant. D’une main, il renvoie au rencard les gentilles explosions d’octane des années 1980 en assénant des scènes d’action aussi improbables que surdimensionnées, mais à l’ampleur handicapée par leur exécution sans âme, filmées et découpées qu’elles sont à la truelle et au hachoir (l’inspiration du cinéma de Carnahan doit se situer quelque part entre Tony Scott — qui justement coproduit le film — et Michael Bay). De l’autre, il illustre jusqu’à la nausée ses trouvailles de scénario, notamment les ruses et tactiques montées par les héros (attention, l’abus de flash-backs et de flash-forwards nuit gravement à la santé), et croit épaissir les personnages originaux au-delà de leurs deux lignes de descriptifs en leur plaquant, sèchement et sans plus de travail de cinéaste, des caractérisations psychologiques déjà bien familières au cinéma hollywoodien récent et des éclairs de sérieux auxquels personne ne croit (relation filiale et œdipienne entre Hannibal et Futé, crise de conscience de Barracuda…).
Fan-service
Que Carnahan confirme définitivement que malgré ses intentions d’indépendance et d’habileté passées (Narc, Mi$e à prix…) il reste un faiseur des plus médiocres, ce n’est pas ce qu’on retient le plus. Sa façon de faire, cependant, montre bien les limites de cette adaptation qui, certes, réussit à rétablir une communion sans mépris avec un esprit de fun et de désinvolture que sa futilité avait fait étiqueter un peu vite comme d’une autre époque, mais la compromet aussi en échouant dans son intention d’aller au-delà. La valeur ajoutée dont les entrepreneurs de la chose comptaient l’enrichir s’avère son boulet le plus lourd. Tandis que la surenchère d’action dopée au numérique d’aujourd’hui voit son efficacité grevée par l’amorphie de la mise en scène, la volonté de dépasser les vieilles formules convainc peu quand, aux systématismes des années 1980, on ne fait que substituer ceux des années 2000. Ce qui tient le plus la route, finalement, c’est le « fan-service » : l’entreprise de recréation d’un univers de fiction par la ressortie des tics, des petites phrases, des situations et des rapports téléphonés, des gadgets comme le van noir, les vieux blousons de cuir, le thème musical d’origine réutilisé de diverses façon et la coupe iroquoise de Barracuda. Cela repose pour beaucoup sur le plus solide de l’ouvrage : les interprètes, concernés et visiblement heureux d’apporter leurs nuances à des personnages iconiques autant que stéréotypés (excellent choix d’acteurs pour la team, soit dit en passant). Ce plaisir basique que les intervenants du film ont visiblement pris à courir après les gimmicks cultes d’antan reste la seule âme qui vive dans cet objet par ailleurs pas honteux, mais tout de même bien désincarné.