Depuis ce grand connaisseur de l’âme tricolore qu’est Michel Sardou, tout le monde le sait : l’amour, « y’a qu’les Français qui font ça bien ». Au vu de L’Arnacœur, c’est manifeste : avec son titre – gag foireux, ses acteurs – minois au talent plus que discutable en tête d’affiche, son scénario – resucée évidente des comédies romantiques américaines récentes, le film de Pascal Chaumeil nous montre bien que faire l’amour, c’est une chose, mais en parler (et le filmer), c’en est une autre.
Il n’y a guère que deux sortes de comique : le comique de répétition, et le comique de répétition. Pour Alex, séducteur professionnel, il en va de même pour la séduction. Son job ? Recueillir les doléances de proches d’une femme malheureuse en amour, mais incapable de s’en rendre compte, vérifier que la belle est effectivement malheureuse, et la séduire pour lui inspirer de quitter son endive de conjoint. Pour cela, lui et son équipe conjuguent trois actes : une enquête digne des meilleurs privés, une mise en scène adéquate, et le coup de la petite larme d’Alex qui les fait toutes chavirer.
La petite larme, ça marche toujours – hélas, le bel Alex (Romain-ô-que-je-suis-beau-avec-ma-barbe-de-cinq-jours-Duris) est un cœur de pierre. Il lui faut donc, à chaque fois, se détourner, et se lancer dans une grimace grotesque pour susciter des larmes qui ne convaincraient pas la plus fleur-bleue des bonnes sœurs. Mais une femme séduite, c’est un peu bécasse – et ça donne l’occasion au réalisateur Pascal Chaumeil de nous resservir la scène à chaque occasion, nous plongeant dans un océan de drôlerie. Comique / séduction de répétition donc.
Arrêtons un instant notre pitch ici, rêvassons : voyons une comédie méchante, le récit d’un Dom Juan moderne, pas plus inquiété que ça par une potentielle statue de commandeur, qui alignerait les conquêtes, avec le plaisir dandy de briser les couples, et la satisfaction d’une séduction infaillible. Nous tenons là un concept des plus prometteurs, dans les mains d’un scénariste, d’un réalisateur fin : invoquons donc Isabel Coixet, Billy Wilder, Shohei Imamura, Joseph Mankiewicz, Jane Campion, Capra – quelqu’un(e) capable de voir les faiblesses dans le jeu du personnage, capable, également, de donner de la chair aux belles réveillées.
Mais non. Le tandem Pascal Chaumeil (réalisateur) – Laurent Zeitoun (scénariste) s’enlise avec une belle constance dans un récit creux, malhonnête, idiot et manipulateur. Il suffira qu’Alex se voit proposer de casser un couple heureux – pour des raisons d’argent, vous pensez bien qu’il n’irait pas faire ça de lui-même, ce ne serait pas moral – pour qu’il transgresse sa ligne de conduite : ne jamais tomber amoureux de ses victimes. S’interrogera-t-on sur les implications de ce fait ? Sur la perversion sous-jacente qui apparaît dans la relation naissante entre Duris et Vanessa Paradis, interprète diaphane de la belle-au-couple-à-briser ? Non évidemment.
La principale inquiétude du tandem aux commandes de L’Arnacœur semble être de sacrifier aux recettes éprouvées d’une comédie romantique surannée de seconde zone. Loin de la construction plutôt fine des récents (500) jours ensemble et P.S. I Love You, L’Arnacœur vogue avec dans ses voiles la nostalgie des 1980’s – et gare à vous si Wham ! et Dirty Dancing vous gonflent –, de ces comédies romantiques où l’on ne s’embarrasse pas de donner du corps, de la crédibilité à ses personnages. Non, nous sommes plutôt ici dans un traitement à la mode Harlequin, rose bonbon, et vidé de toute humanité.
La romance de L’Arnacœur est toute entière basée sur le mensonge, comme son personnage principal, et n’est qu’un catalogue exhaustif de situations vaines, juste bonnes à illustrer un sens caricatural des jeux de l’amour et du hasard. Pourtant doté d’une première partie amusante, et par ailleurs complètement isolée du reste du film (les premières « arnaques » elles-mêmes), L’Arnacœur s’applique à évacuer la vie, la poésie, l’humanité de son récit. L’arnaque, oui, on la voit bien. Mais le cœur, dans tout ça ?