Une vieille dame seule de Copacabana observe ses voisins à la jumelle ; un jour, elle croit voir l’un d’eux commettre un meurtre… Si le premier nœud dramatique du film évoque fortement Fenêtre sur cour de Hitchcock, il n’annonce pas pour autant un décalque de celui-ci. Scénariste de formation, coauteur notamment de Terre lointaine et Central do Brasil de Walter Salles, c’est dans les pas de ce dernier que Marcos Bernstein passe ici à la réalisation. Non content de diriger l’héroïne de Central do Brasil Fernanda Montenegro, il inscrit son film dans une démarche de cinéma voisine, mêlant conventions d’un genre et témoignage social. Sur un arrière-plan authentique (les indics du troisième âge, bénévoles, cherchant à tromper leur ennui), il ne débouche cependant pas sur une intrigue de thriller, mais sur une rencontre amoureuse, même si le suspense quant à l’issue de cette relation reste présent — un développement qui n’aurait peut-être pas déplu à Maître Alfred.
« Franchise de son regard »
Pour ses débuts de réalisateur, Bernstein ne cherche pas à se signaler par un travail formel trop ostentatoire. Sa réalisation tend à la sobriété et à la fluidité, les cadrages et le montage visant à capter au mieux les scènes sans entraver le récit ni ajouter du sens. Une politique minimaliste du « pas un plan de trop » qui a tout de même ses exceptions, souffrant de quelques fioritures visuelles lorsque le cinéaste s’essaie à l’emphase : ici un ralenti saccadé surlignant la charge émotionnelle de la scène, là la poésie surannée de rideaux flottant au vent au ralenti… Mais ni ces quelques maladresses ni la relative modestie formelle de l’ensemble n’occultent la principale qualité du réalisateur : la franchise de son regard, qui l’autorise à aborder divers sujets, parfois potentiellement périlleux, comme si cela relevait de l’évidence. Ainsi nous présente-t-il sans fard une vision contrastée du quartier emblématique de Copacabana : d’un côté la plage ensoleillée, de l’autre l’insécurité de la rue. Il se permet même d’aborder frontalement et le plus sereinement du monde la sexualité des personnes âgées — un sujet peu abordé au cinéma et, quand il l’est, sur un mode tendant à faire sourire de la chose ou à la présenter comme un excès de la nature (se souvenir de l’accouplement sauvage, quasi animal dans Japón de Carlos Reygadas).
« Subtile inversion des rôles »
Tout aussi intéressant est le travail du cinéaste sur le face-à-face qui est le nœud central du film. L’écriture et l’interprétation de la relation entre les deux protagonistes donnent lieu à un jeu assez subtil sur la notion de culpabilité.
Ladite relation démarre comme une confrontation entre une femme en quête de vérité et un homme qu’elle tient pour coupable ; mais au fil de leurs discussions, on assiste à une subtile inversion des rôles. La femme, qui a dû mentir sur elle-même pour approcher son interlocuteur, se retrouve elle-même suspecte ; face à elle, l’assassin présumé prend une position d’inquisiteur, cherchant la faille dans le comportement de cette dame étrange qui l’a abordé. Il est intéressant de constater l’ambivalence qu’acquièrent l’attitude même des personnages, et leur interprétation par les acteurs, au regard de cette évolution de leur relation. La volubilité, le bagout et la fermeté qui pouvaient rendre sympathique la détective en herbe, apparaissent comme un masque trop démonstratif pour être honnête, cachant une vérité moins reluisante ; quant à l’austérité du suspect, inquiétante au premier abord, elle reflète peu à peu la distance prise par un homme méfiant qui à son tour cherche la vérité.
La dernière scène du film apporte à cette confrontation un dénouement qui a la bonne idée de prendre le contre-pied du postulat hitchcockien de départ. Si celui-ci peut paraître un peu trop démonstratif (la transmission d’un objet pour souligner l’inversion des rôles entre les deux personnages), il a néanmoins le mérite de déjouer l’aspect potentiellement moraliste du film, en neutralisant la notion de culpabilité associée au voyeurisme.
L’Autre Côté de la rue révèle ainsi un cinéaste au propos intéressant, que seul un certain manque de maîtrise formelle empêche d’enthousiasmer tout à fait.