Se contentant d’un discours assez convenu sur le rapport entre l’addiction aux jeux online et le besoin de fuir la réalité – voire la vie –, L’Autre Monde, tout comme Summer Wars, peine à sonder les vertiges du virtuel. Mais le réalisateur Gilles Marchand cherche surtout à renouveler le genre du film noir en y injectant des formes et des préoccupations très contemporaines. Une tentative pas inintéressante… mais ratée.
Les jeunes Gaspard et Marion passent des vacances insouciantes et heureuses au sein d’un quatuor d’amis soudés. Lorsqu’ils découvrent un téléphone portable oublié, ils partent à la recherche de sa propriétaire, Sam. Gaspard est rapidement fasciné par cette femme mystérieuse aux pulsions autodestructrices : délaissant ses amis et son idylle naissante avec Marion, il la suit jusque sur un jeu vidéo en ligne, Black Hole.
Enquête, filatures : L’Autre Monde démarre comme un polar, parasité par l’atmosphère solaire et lumineuse d’un été provençal, puis se laisse doucement contaminer par le fantastique avant de se transformer en un thriller un rien languissant. Comme dans les films précédents du tandem Dominik Moll (ici coscénariste) / Gilles Marchand, des personnages banals, inscrits dans une réalité très prosaïque, voient leur vie bousculée par l’irruption d’individus ambigus aux troubles desseins, qui les subjuguent jusqu’à les vampiriser.
Est-ce à cause de cette constance scénaristique – que le spectateur un tant soit peu aguerri repère désormais à dix kilomètres –, ou d’une perte progressive d’inspiration chez les deux auteurs ? Chacun de leurs films paraît moins réussi que le précédent. Passé la surprise de Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming et Qui a tué Bambi ? paraissaient déjà bien fades, et cet Autre Monde n’éveille plus aujourd’hui qu’un ennui poli, à peine troublé par quelques touches comiques réussies – comme l’initiation à Black Hole par un pittoresque patron de cybercafé.
Si l’on peine tant à s’intéresser aux errements de ces jeunes gens qui, à peine sortis de l’adolescence, se trouvent confrontés à des détresses – et des perversions – qui les dépassent, c’est en grande partie la faute à la faiblesse de l’interprétation. Grégoire Leprince-Ringuet, qui n’a pas le charisme d’un Laurent Lucas ou d’un Sergi Lopez, voit sa fadeur décuplée par la mollesse d’un personnage velléitaire qui se laisse manipuler et rabrouer sans réagir pendant toute la durée du film. Il est donc bien difficile de s’attacher à ce Gaspard, et plus encore de partager son obsession pour la pseudo-femme fatale qu’incarne une Louise Bourgoin dont, décidément, le talent de comédienne s’avère film après film inversement proportionnel aux qualités plastiques. L’Autre Monde joue d’ailleurs beaucoup sur la mise en valeur de ses appas… au risque de paraître parfois un rien putassier – il suffit de regarder l’affiche.
La mise en scène n’est pourtant pas sans qualités, qui parvient à créer une atmosphère onirique par moments assez prenante ; mais elle ne peut à elle seule compenser la minceur du scénario et un réel défaut d’incarnation. Le film aurait pu trouver un équilibre dans son envers, cet « autre monde » nommé Black Hole en référence à l’œuvre homonyme du dessinateur Charles Burns, et développé tout exprès pour l’occasion ; mais malgré quelques jolies trouvailles visuelles, ces séquences d’animation, qui jouent sur les clichés du polar, deviennent terriblement froides à force de dépouillement et d’hyperstylisation. Elles s’articulent surtout assez mal avec le reste du film à qui elles ne servent trop souvent que de béquilles scénaristiques – ce qui scelle l’échec du projet.