On avait apprécié Home, le premier long-métrage d’Ursula Meier, son travail sur l’espace et sa capacité à faire émerger des ruptures de ton. L’Enfant d’en haut confirme un regard singulier, peut-être un peu trop sûr de ses effets.
Home était organisé par l’horizontalité et des lignes de fuite, L’Enfant d’en haut reprend l’idée de principes spatiaux très affirmés, cette fois dans le sens de la verticalité. Comme le titre l’indique, il y a bien un « haut » – une station de ski suisse huppée –, mais aussi un « bas » : une terne vallée encaissée dont les tons maronnasses contrastent avec l’or blanc faisant la fortune des sommets. Cette limpidité de l’opposition spatiale est aussi sociale : Simon (convaincant Kacey Mottet Klein), douze ans, enfant d’en bas, fait la navette quotidiennement pour détrousser les nantis et faire commerce de ses prises (skis, lunettes, gants, vêtements…) avec le peuple de la vallée. Il opère avec une abnégation minutieuse, dont on ne sait dans un premier temps si elle est porteuse d’une nécessité vitale, d’un revanchisme social ou d’une cleptomanie aiguë. On ne tarde pas à être renseigné : il vit avec Louise (Léa Seydoux), sa sœur, que l’on peut caractériser comme une paumée (perdant son boulot, passant de bras en bras de types conduisant des bagnoles). Ceci dans un appartement blafard, où l’argent manque. Les méfaits de Simon maintiennent ainsi le ménage à flot.
Partant de l’idée d’une bulle utopique et harmonieuse où la vie se confondait avec le jeu et la complicité, Home déviait de sa trajectoire en direction d’une cellule rendue hautement pathogène du fait de la remise en service de l’autoroute désaffectée au bord de laquelle la famille avait trouvé refuge pour se protéger du monde. L’Enfant d’en haut n’y va pas par quatre chemins : la famille n’existe – apparemment – pas ; les adultes ayant déserté, ces deux jeunes gens sont totalement livrés à eux-mêmes. À la fois vachard et fusionnel – y compris par la proximité ambiguë des corps –, le caractère étrange du lien est fait pour interroger. Et il interrogera plus encore à la suite de la révélation d’un sacré pot aux roses. Sans le dévoiler, le rédacteur signale que la ficelle est un peu grosse tant elle semble se justifier avant tout comme une « relance » d’un scénario peut-être un peu ténu.
D’une manière générale, Ursula Meier force un peu ce qu’elle faisait émerger progressivement et habilement dans Home. Ainsi, la dimension anxiogène du resserrement des espaces est livrée dès la scène d’ouverture par la mise en scène, en filmant près, sur le corps du garçon, en le contenant dans des espaces exigus. De même, la tension entre le dedans et le dehors ne vit pas d’une manière dynamique – le son de l’autoroute qui s’immisce dans la bulle de l’appartement, ultime refuge vis-à-vis d’un monde extérieur menaçant. Trop claire d’une manière générale, la logique de l’étau ne fait pas assez mystère ; on comprend vite que l’outil va se refermer.
Pour autant, ces réserves ne suffisent pas à balayer L’Enfant d’en haut d’un revers de la main. Si la cinéaste dévoile trop son jeu, le caractère fuyant du personnage de Louise finit par faire sens, à défaut de le rendre complètement convaincant. Et surtout, elle parvient à faire durer celui du brigand des montagnes. Ursula Meier en fait un être déterminé assez abstrait de gestes et d’actes, lancé dans une fuite en avant, formulant ainsi une souffrance opaque. Quand une mère de substitution semble pointer son nez, il se transforme en petit homme, séducteur et gaillard. Dans cette intériorité couve une violence qui maintient la pression sur le récit. On le voit aussi occuper différents états sociaux : du triomphe d’un magnat se restaurant royalement affalé sur une couverture en fourrure à celui de piteux vendeur ambulant sur le bord d’une morne route de la vallée. À ce sujet, la logique verticale entre « haut » et « bas » fonctionne selon une dialectique plus riche. Comme une sorte d’Icare, à trop avoir voulu être un homme et s’élever au dessus de sa condition, Simon s’est brûlé les ailes. Ne lui reste plus qu’à retrouver l’état d’enfant, et à croiser la route d’une mère.