Avec son titre improbable, L’Orpheline avec en plus un bras en moins invoque sur grand écran les mânes de Roland Topor, artiste protéiforme génial, qui a déjà sa place dans l’histoire du cinéma via, notamment, les scénarios du Locataire de Polanski et de La Planète sauvage de René Laloux. On peut trouver plus mauvais précédents. Hélas, l’ascendance ne fait pas tout : absolument fauché, le film aligne sagement les moments de haut cabotinage d’acteurs confirmés sur le retour d’un côté, et les contre-performances de l’autre.
On a beau se dire, à la vision de L’Orpheline avec en plus un bras en moins que le scénario fait sens (au moins de son début vers sa fin, disons), difficile de le résumer. En tout cas, une chose est sûre : en son centre, on trouve bien l’orpheline annoncée et, en plus, elle a effectivement un bras en moins. Autour de cette particularité physique, un juge (Pasquale D’Inca) fantasme tandis qu’il collectionne les objets meurtriers et autres joyeusetés, un mac repoussant (Jean-Claude Dreyfus) tente de l’embaucher dans son cabaret tout en passant le film à peloter des jeunes filles nues, et un prestidigitateur mauvais garçon mais romantique (Melvil Poupaud) gravitent.
Voilà déjà une distribution chargée, mais L’Orpheline avec en plus un bras en moins compte bien d’autres personnages : Jacques Richard (qui a co-écrit le scénario d’après Topor) multiplie les pistes, avec des intentions troubles. La première partie du film fait office d’exposition et va, ainsi, suivre vaguement les pas de l’orpheline du titre qui s’en va côtoyer chacun des personnages. Sorte de catalogue maladroit, le film va tenter de faire plus sens dans sa seconde partie, alors que le scénario reprend celui des Yeux sans visage de Franju – la maison du juge précité va alors devenir un calque de celle du Dr Génessier, avec son monstre, son démiurge terrifiant, sa maison construite comme un temple de l’épouvante, avec dans son sous-sol…
Hélas, si l’hommage est réel, le film ne va jamais plus loin que ses admirables intentions : faire montre d’un amour réel pour le monde de Franju et celui de Topor. D’une part, le clin d’œil appuyé envers Franju ne dépasse pas la simple citation, la faute sans doute à un budget restreint (et probablement déjà lourdement grévé par la présence au générique de ses têtes d’affiches), mais également à une absence de regard réel. Doit-on à Topor ou à Jacques Richard l’idée de construire le film sur le canevas des Yeux sans visage ? Impossible de le dire – en revanche, on constate rapidement que le scénario seul se consacre de façon prégnante à cette idée. La réalisation, littérale et sans vie, de Jacques Richard ne semble jamais avoir l’intention de s’approprier l’épouvante vers laquelle lorgne L’Orpheline avec en plus un bras en moins dans sa seconde partie.
Reste Topor. L’humour ravageur, le surréalisme aux multiples expressions de son monde pourraient s’exprimer dans la fascination partagée par tous les protagonistes du film pour le moignon de l’orpheline. Érotisme, fétichisme : tout un monde d’obsessions habite celles et ceux qui côtoient l’orpheline – la « norme » constituée par le juge, ou le monde ecclésiastique, est d’ailleurs sévèrement battue en brèche, creuset terrible de perversités et de frustrations. Les déviants (maquereau décadent, prostituée, repris de justice) sont, en revanche, ceux dont les sentiments sont, sinon moraux, au moins honnêtes.
Hélas, à ne pas savoir choisir quel personnage privilégier, à virevolter entre les uns et les autres, Jacques Richard ne fait pas honneur aux idées subversives de Topor. Si les belles idées originelles sont suffisamment lisibles, l’exécution de L’Orpheline avec en plus un bras en moins manque tellement de personnalité et de style que ces idées traversent le film comme des fantômes, évanescentes et bientôt disparues, comme le souvenir inconfortable du film dont elles sont issues.