L’Allemagne se penche sur son histoire… Après Sophie Scholl et La Vie des autres, le cinéma contemporain tente de battre le fer tant qu’il est encore chaud en explorant une période très récente de sa propre histoire : celle de la bande à Baader. Il eût été intelligent, moderne, ici, de préférer l’analyse à la description, et la réflexion contemporaine à la reproduction. Malgré une technique clairement huilée, on ne comprend pas vraiment l’intérêt de choisir un tel sujet pour le traiter comme n’importe quel mélodrame teinté de l’excitation d’une histoire plate.
Le cinéma, dans certains pays, a souvent été le moteur d’une modernité de représentation et d’évolution des mentalités : lorsque l’on constate que Voyage au bout de l’enfer ‑sur la guerre du Vietnam- a été réalisé à peine trois ans après les accords de Paris, on comprend que les États-Unis ont mis beaucoup moins de temps que l’Europe à se pencher sur ses blessures ouvertes. Le cinéma français ‑quand verra-t-on un film sans dramatisation sur la guerre d’Algérie ou sans auto-censure sur les crimes des deux camps ?- comme le cinéma allemand ont attendu quelque temps avant de filmer la collaboration notamment… du côté allemand, le passé communiste a évidemment retardé la propension des cinéastes à regarder en face une histoire dramatique et sanglante. Depuis La Vie des autres, mélodrame un peu trop pompeux pour être bien honnête, les événements de RFA manquaient à l’appel. Uli Edel tente ici de remplir ce manque en consacrant un film à la bande à Baader, et plus généralement à la fraction allemande de l’Armée Rouge, qui terrorisa un temps une Allemagne plongée, au même titre que l’Italie, dans des « années de plomb ».
Parler d’une frange de l’Histoire, en avoir le courage parfois, est une chose. Lui rendre justice, et utiliser l’Histoire à des fins cinématographiques ‑et vice versa‑, en est une autre. Comme La Vie des autres, et surtout comme un certain nombre de biopics (Coluche, La Môme), La Bande à Baader possède une vision très basique de l’histoire, et sa représentation cinématographique en pâtit logiquement : comment étudier un épisode aussi complexe de l’histoire allemande sans mettre en perspective les enjeux sociaux de la révolte ? Comment la filmer sans en expliquer les mécanismes, les influences politiques ? Un film sur l’Histoire devrait penser l’Histoire, penser son sujet, quitte à prendre certaines libertés avec ce dernier. Le problème de La Bande à Baader est que l’histoire s’y résume aux grands moments de l’épopée de Baader et de ses comparses, à la reproduction très primaire d’un contexte. Nous sommes à la fin des années 1960, on entend donc une chanson des Beatles. Mais Dizzy Miss Lizzy, au même titre que quelques images d’archives montées ça et là, n’est qu’une simple illustration. On regrette ainsi que ce cinéma ne fasse pas de choix personnel, et se contente de poncifs sur la décennie qu’elle explore. La Bande à Baader, comme beaucoup d’autres films, est l’adaptation assez plate d’un manuel de terminale, sans réflexion spéciale sur son sujet, pourtant brûlant.
À l’heure où l’extrême-gauche résiste dans un certain nombre de Länder d’ex-RFA, dans quelques provinces de Russie, il était nécessaire de s’interroger sur ce qui avait poussé Baader, Ulrike Meinhof et leurs disciples, à prendre les armes… Nous n’aurons droit durant plus de deux heures qu’à une suite de moments-clé ‑la fameuse manifestation contre la venue du Shah, l’arrestation de la bande, le procès- : le rapport à la génération antérieure qui a vécu l’Allemagne nazie, le rapport politique et financier à l’URSS, la tension idéologique entre partisans de l’action violente et ses opposants au sein du groupe… tous ses thèmes sont à peine esquissés. Les révolutionnaires sont finalement des gens simples qui se sont un peu emballés face aux « capitalistes mangeurs de bisque de homard ». D’un point de vue purement technique, la production bénéficie, bien entendu, d’assez de financements pour apporter à l’image des effets spectaculaires, parfois vieillis artificiellement, des scènes de braquage et d’explosion bien montées. Tout comme la caméra d’Uli Edel, les dialogues ne commentent jamais, ils racontent l’action. La Bande à Baader prend l’histoire comme une matière déjà mélodramatisée, sans jamais tenter d’en analyser la matière brute. Serait-elle donc faite aujourd’hui pour servir de socle à un cinéma dramatique sans conscience ?