Près de soixante-dix ans après l’adaptation poético-surréaliste de Jean Cocteau, La Belle et la Bête revient sur les écrans sous la houlette de Christophe Gans. Renouant avec le monde des légendes (Le Pacte des loups qui le fit connaître relatait l’épisode de la bête de Gévaudan), le réalisateur ne cède pas à la mode de la modernisation des contes de fées mais, au contraire, s’enracine dans le décorum traditionnel de cette littérature. Si le film ne se révèle aucunement pertinent quant à la nature symbolique du conte, il propose un spectacle efficace où le merveilleux côtoie la brutalité. Un mariage pour le moins excitant.
Il était une fois…
Tandis que ses projets sont tombés à l’eau les uns après les autres (Bob Morane, Fantomas, Rahan…), on avait presque oublié Christophe Gans. Et pourtant, le revoilà, huit ans après Silent Hill pour donner sa version du célèbre conte La Belle et la Bête. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une relecture contemporaine, comme ce fut le cas pour Blanche Neige (Blancanieves) ou la Belle au bois dormant (Sleeping Beauty), le cinéaste reprend à son compte l’univers onirique et intemporel autrefois mis en scène par Cocteau. Après le naufrage de ses navires, le père de Belle, un riche marchand (André Dussollier), se retrouve ruiné, obligé de quitter la ville pour se réfugier à la campagne. S’égarant une nuit de tempête dans la forêt, il découvre un château magique, occupé par une créature terrifiante. La bête lui octroie une journée pour faire ses adieux à sa famille mais il doit ensuite revenir auprès d’elle. Convaincue d’être responsable du malheur de son père, Belle (Léa Seydoux) décide de prendre sa place et s’aventure seule sur les terres du redoutable monstre.
Sauvagerie du conte
Dans son ouvrage Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim pointait l’indispensable cruauté et la terreur que devaient susciter les contes pour engendrer la catharsis du lecteur. Si Cocteau avait mis de côté cet aspect du matériau original pour se concentrer sur la compassion et l’amour de Belle pour cet être différent, Gans souligne avec intelligence la sauvagerie primaire de la Bête. Les scènes de repas, unique moment d’intimité entre les deux personnages, où seule la jeune fille fait honneur à la table résonnent ainsi avec une séquence de chasse brutale et de dépeçage en règle à laquelle l’héroïne assiste. Rendu à son animalité, la Bête se comporte comme un fauve, ce qui consolide le choix de son apparence féline. Si la multiplication des effets spéciaux donne une image parfois exagérément baroque (la luxuriance des décors ou l’affrontement final à base de géants de pierre, bien que réussis formellement, penchent dangereusement vers la démonstration technique), elle permet en revanche d’animer de manière très réaliste le monstre incarné par Vincent Cassel. Ses déplacements, entre mouvements silencieux et bondissements soudains, produisent fascination et peur, renouant avec la tradition du conte.
Le conte dans le conte
Conscient que la Bête constitue sans doute le point fort de son métrage, Gans a choisi de lever le voile sur l’origine du sortilège responsable de sa transformation. À travers les rêves de Belle, on est invité à découvrir la protohistoire de ce prince, condamné à la monstruosité. Le film trouve alors une vraie singularité dans cette mise en abyme du conte dans le conte. Jouant sur des temporalités différentes (il y a bien longtemps et jadis), le huis clos entre les deux protagonistes (la majorité de l’intrigue se déroulant dans le château) s’épaissit d’une ampleur narrative inespérée, dévoilant le passé de la créature, facette jusque-là inexploitée. Parvenant ainsi à se défaire de l’incontournable comparaison avec l’œuvre de Cocteau, La Belle et la Bête version 2014 tombe malheureusement dans un autre piège : celui de vouloir trop coller à la littéralité du texte. Car, outre ces deux espaces temps (l’avant et après sortilège), une troisième voie narrative fait son apparition, aussi maladroite dans son utilisation que dispensable dans ses effets. À l’image de certains Disney, le métrage s’ouvre ainsi sur une conteuse invisible lisant à deux jeunes enfants La Belle et la Bête. On aura tôt fait de comprendre qu’il s’agit de Belle elle-même relatant à sa progéniture l’origine de la rencontre de leurs parents. Cette troisième temporalité, très artificielle dans son usage se double d’une voix off inutile, qui perturbe régulièrement l’immersion dans l’univers merveilleux et foisonnant imaginé par Gans. Sans comparaison avec la proposition de Cocteau (mais les contes étant des œuvres de réappropriation, ils ont pour vocation à être relus, refilmés et réinterprétés sans cesse), La Belle et la Bête opte pour une mise en lumière inédite de la Bête, et non plus seulement du personnage féminin, et démontre simultanément que le cinéma français peut encore faire rêver avec des légendes et des monstres d’un autre temps. Une bonne nouvelle en somme.