Scénariste pour Maurice Pialat (Police), Claude Sautet (Quelques jours avec moi, Un cœur en hiver, Nelly et Monsieur Arnaud), Anne Fontaine (Augustin roi du kung-fu, Comment j’ai tué mon père, Nathalie…) ou encore tous les films de Nicole Garcia, Jacques Fieschi est de ces collaborateurs précieux à la plume fine que les réalisateurs s’arrachent. Une rareté dans le cinéma français, où le métier de scénariste souffre d’un manque de reconnaissance flagrant, méprisé par l’héritage de la Nouvelle Vague dont l’un des crédos était la suppression pure et simple du « cinéma de scénaristes » en vigueur dans l’Hexagone avant l’arrivée de Godard, Truffaut et consorts.
On retrouve dans La Californie une galerie de personnages hauts en couleurs, a priori un délice pour un scénariste de la trempe de Fieschi. Maguy (Nathalie Baye) est de ces femmes qui pullulent sur la Côte d’Azur : dans sa grande villa de Cannes, aussi clinquante qu’elle, la fausse bourgeoise picole, sort jusqu’à pas d’heure et pique des crises de nerfs en compagnie d’un entourage farfelu et paumé. Au milieu de ce (pas très) beau monde débarquent deux serbes, Mirko (Roschdy Zem) et Stefan (Radivoje Bukvic), ses derniers protégés. Si Mirko a tôt fait de devenir l’amant de Maguy, se laissant entretenir par cette femme qui le dégoûte, Stefan reste en retrait jusqu’à ce qu’arrive Hélène (Ludivine Sagnier), la fille de Maguy… Un coup de foudre immédiat qui va faire exploser cette communauté, jusqu’au crime.
D’emblée, Fieschi joue la carte du polar : une voiture dans la nuit, une musique jazzy… Le réalisateur assume sa source et les codes qui vont avec. Les comédiens, attifés comme dans un Lautner des années 1970, sont tous tellement décalés que l’on prend dans les premières minutes un réel plaisir à les regarder évoluer dans un décor sans âge, comme dans une sorte de Cluedo revu et corrigé à la sauce Dallas. On n’y croit pas une seconde, mais l’artifice tient la route, principalement grâce au charme des comédiens, de Nathalie Baye en Sue Ellen au brushing impeccable à Roschdy Zem en improbable mélange de JoeyStarr et De Niro dans Taxi Driver. Mais l’équilibre est fragile et hélas, Fieschi s’avère rapidement à court d’idées de mise en scène. Car si ses talents de dialoguiste n’ont rien perdu de leur mordant, on ne peut pas en dire autant de sa réalisation, désespérément statique et conventionnelle, voire carrément lourdingue (Roschdy Zem filmé constamment façon Elephant de Gus Van Sant, caméra collée à sa nuque dès qu’il se déplace, pour souligner l’aspect menaçant du personnage). A force d’être filmés aussi platement, les personnages perdent de leur consistance et finissent par ne ressembler qu’à des pantins s’agitant désespérément dans un décor en carton-pâte. Le jeu de Nathalie Baye et Roschdy Zem, forcément outré, finit par étouffer dans cette esthétique trop étroite qui ne leur rend pas service, comme si acteurs et metteur en scène ne faisaient pas le même film…
Cela ne s’arrange pas avec l’arrivée du personnage interprété par Ludivine Sagnier, censé être en décalage total avec l’univers fantasque mis en place dans les premières scènes du film et qui, peu aidé par le jeu éteint de la comédienne, renforce l’impression générale de n’importe quoi : hésitant sans cesse entre comédie de mœurs, polar et drame, Fieschi emprunte plusieurs pistes de manière superficielle, sans jamais vraiment creuser sa matière, pourtant riche en potentialités. On regrettera notamment que l’ambiguïté des rapports entre Mirko et Stefan ne soit pas plus travaillée, alors que le cinéaste l’aborde de façon ponctuelle. Il n’est pas interdit de rêver à ce qu’un Téchiné ou un Cédric Kahn (qui avait lui-même réussi une très belle adaptation de Simenon, Feux rouges) auraient fait du même scénario… Sans doute Jacques Fieschi gagnerait-il à collaborer avec d’autres cinéastes, avant de retenter lui-même l’expérience de la mise en scène.