Surtout connu pour ses années 1940/1950 à Hollywood, le réalisateur austro-hongrois André de Toth fut aussi sculpteur, peintre, et homme à femmes (avec pas moins de sept mariages!). Le fait qu’il soit surtout connu pour son apport au cinéma de genre pourra donc être vu comme une injustice, même si la reprise de sa Chevauchée des bannis illustre bien son savoir-faire en tant que réalisateur – dans un western inattendu à plus d’un titre.
Rares sont les westerns à situer leur action sous la neige : c’est l’une des premières singularités de la Chevauchée des bannis. Neuf ans plus tard, en 1968, Sergio Corbucci réunira Klaus Kinski et Jean-Louis Trintignant dans un Grand Silence magistral qui, lui aussi, donnait une place toute particulière aux rigueurs hivernales : loin de donner dans le lyrisme exacerbé de l’Italien, André de Toth va laisser son monde disparaître sous la blancheur ouatée. Le froid, la gêne pénètrent tout La Chevauchée des bannis : les hommes et les femmes entre eux ne sont plus liés que par le non-dit, autant du fait des rigueurs extérieures que parce qu’à vingt personnes dans un petit village, il n’est plus grand besoin de se dire les choses pour qu’elles soient sues et comprises. Les rapports humains, ainsi, sont à couteaux tirés : la tension se concrétise lorsqu’un des fermiers décide de poser une clôture autour de ses terres, ce que l’éleveur le plus important de la région voit d’un très mauvais œil. Qu’une femme aimée des deux hommes les sépare importe, certes, mais André de Toth a à cœur de montrer que même malgré les difficultés posées par le climat, le héros de western tient toujours à s’approprier l’espace. Mais, ici, n’est-ce pas trop grand pour lui ?
Le réalisateur saisit toutes les opportunités de tourner en extérieur, dans les montagnes de l’Oregon. Handicapé, cependant, par un budget trop court, il va être obligé de mettre en scène une bonne partie du film en studio, notamment la scène la plus importante de la confrontation entre l’éleveur, interprété par Blaise Starett, et les bandits venus menacer sa ville, qui perd dès lors beaucoup de sa force. Restent cependant les incroyables scènes qui constituent le duel symbolique entre eux, dans les montagnes, et l’insistance manifeste d’André de Toth pour écraser ses protagonistes dans son cadre à la blancheur écrasante. On y est pataud, disgracieux : l’efficacité, la discrétion, la vitesse, attributs sempiternels du personnage de western, y sont oubliées. Si l’accent est mis sur le personnage interprété par Blaise Starett, La Chevauchée des bannis accorde une place importante, inaccoutumée, aux femmes, qui constituent le moteur central de l’intrigue – ce qu’André de Toth va souligner dans une scène terrible de bal extorqué aux citoyennes de la ville par les bandits. Très éprouvante, la tension, judicieusement attisée par le réalisateur, atteint dans ce duel aux armes inattendues son paroxysme.
Pourtant, cette scène, comme de la confrontation permanente entre locaux et bandits, ne va pas trouver l’exutoire attendu : La Chevauchée des bannis progresse au fil des rapports entre la bande de malfrats, tenue en respect par son capitaine, défroqué mais honorable, et les villageois. Du destin de ce capitaine, dépend le destin de la communauté – lui qui souffre d’une blessure due à une balle dans la poitrine… L’explosion attendue va pourtant faire long feu : le film progresse dans un dernier acte tout en lenteur, où la tension est toujours savamment entretenue – et qui trouvera une conclusion à l’ambivalence étonnante. Au terme de La Chevauchée des bannis, nul ne triomphe, nul ne prend sa revanche : on mûrit, on apprend – on grandit, d’une façon qui, encore aujourd’hui, apparaît comme profondément subversive.
Malgré son insuffisance de moyens, André de Toth saisit avec talent l’opportunité qui lui est offerte par le scénario de Philip Yordan et par son cadre hivernal. Récit complexe, judicieusement éloigné de tout manichéisme, La Chevauchée des bannis, pourtant le dernier western de son auteur, témoigne de son savoir-faire et de ses louables ambitions narratives.