Avec un nom tel que le sien, Goro Miyazaki est un cinéaste qui a à faire ses preuves. Quel legs que celui de Miyazaki père, quel héritage lourd à porter ! Ainsi encombré, son fils avait eu, de plus, le mauvais goût de rater son premier long métrage, Les Contes de Terremer, d’une épouvantable façon. Objet de toutes les craintes, son nouveau film les infirme pourtant : si ce n’est pas encore ce que l’on attend d’un Miyazaki, La Colline aux coquelicots donne à nouveau envie de croire en son réalisateur.
Pour qui n’a pas eu l’occasion de voir le Terremer sus-cité, les craintes attachées au film pourraient paraître disproportionnées. Rappelons donc rapidement l’affaire : à l’amateurisme graphique, le film ajoutait un scénario aussi atrocement mièvre que plat et prévisible. Pire que tout, Miyazaki fils y invoquait à tout instant les mânes de son père, pour une comparaison inévitable et terrible. Ratage absolu, d’une intensité unique, Les Contes de Terremer laissait espérer la retraite anticipée de Goro Miyazaki. Alors, lorsque les bandes-annonces de « la nouvelle merveille du studio Ghibli » par Goro (en tout petit) Miyazaki (EN TRÈS GROS), la peur s’est installée. Heureusement, la catastrophe attendue est loin d’être au rendez-vous : la progression opérée par le réalisateur est impressionnante.
La Colline aux coquelicots nous présente donc une jeune fille, Umi, et d’un jeune garçon, Shun, qui tombent amoureux aussi doucement qu’inexorablement, avant de se rendre compte, au fil des confidences, qu’ils sont frères et sœurs. « On dirait un mauvais mélo… », assène alors Shun, et on ne lui fait pas dire. Coup dur, alors que tout le début de La Colline aux coquelicots mettait à rude épreuve les idées préconçues des contempteurs de Terremer… Jusque-là, le film faisait merveille dans une chronique douce et nostalgique des années 1960 au Japon, allant chercher chez Isao Takahata, l’autre pilier de Ghibli, ce que Terremer avait échoué à trouver en Miyazaki père : un mentor dont on serait le continuateur légitime.
Goro Miyazaki demeure loin de Terremer : on sent le réalisateur plus à l’aise dans le récit tangible, sans inclination au rêve ou à la fantasmagorie. Graphiquement, les progrès sont également notables : les personnages aux faciès génériques de Terremer laissent place à une galerie de physionomies plus travaillées. Certaines sont parfois grotesques – c’est la loi des récits de jeunesse au Japon –, d’autres sont profondément humaines et crédibles. Posé dans un univers aux couleurs chaudes, aux harmonies subtiles, le monde des Coquelicots est une représentation colorisée – idéalisée – à l’excès d’un passé en noir et blanc. On s’y livre à une reconstitution précise de l’univers des lycéens japonais du début des années 1960 – une reconstitution qui étonnera, d’ailleurs, le spectateur occidental, tant nationalisme fervent et traditionalisme rigide sont au rendez-vous. Goro Miyazaki serait-il nostalgique d’un Japon suranné, attaché aux valeurs datées de l’après-guerre de Corée ?
Plus certainement, le réalisateur veut avant tout mettre l’accent sur un univers de sentiments simples, profonds, sans nuances autres que celles qui régissent les atermoiements de cœurs de carton peint. Horriblement caricaturale dans Terremer, cette tendance s’adoucit avec les Coquelicots, mais ne disparaît pas. Gageons que Goro Miyazaki est sur la voie de la maturité, ce qui rend le film digne d’intérêt. Mais, au sein du studio Ghibli, on suivra plus volontiers la carrière d’Hiromasa Yonebayashi, dont le remarquable Arrietty présage, à coup sûr, d’un avenir brillant.