Au fil des décennies, cette réalisation de George Stevens est devenue une légende puisqu’elle a marqué la première rencontre à l’écran de l’un des plus fameux couples d’Hollywood : Katharine Hepburn et Spencer Tracy. Porté par l’actrice qui avait choisi le réalisateur et son partenaire de jeu, La Femme de l’année se voudrait un manifeste féministe déguisé en comédie de mœurs. Malheureusement, force est de constater que le réalisateur du génial Une place au soleil n’a pas l’acidité et le sens du rythme de George Cukor dont il ne partage que le prénom.
Connue pour ses nombreux engagements féministes (la légende dit qu’elle a manifesté pour la première fois alors qu’elle était enfant), Katharine Hepburn a incarné la plupart du temps des femmes indépendantes, jouant continuellement sur le terrain des hommes pour mieux mettre en péril le patriarcat. Principalement chez Cukor, elle a joué les garçonnes, les sportives de haut-niveau, les avocates, damnant continuellement le pion à ses partenaires masculins, Cary Grant et Spencer Tracy en tête. Avec ce dernier, La Femme de l’année allait marquer le début d’une longue et fructueuse collaboration, jusqu’en 1968 et le fameux Devine qui vient dîner ?, jouant une nouvelle fois sur le terrain du progressisme et de l’égalité. Forcément, sachant que cette réalisation avait marqué la rencontre du couple-phare de Madame porte la culotte, on espérait redécouvrir une œuvre anticonformiste, capable de bousculer des préjugés qui persistent encore, soixante-dix ans après la sortie du film sur les écrans américains. Surtout que le réalisateur n’était pas étranger aux histoires empreintes de féminisme (La Gloire du cirque) et qu’il allait rendre compte, quelques années plus tard avec Une place au soleil, de son évidente propension à rendre compte des rapports de classe et d’inégalité qui régissent les relations humaines.
Certes, on pourra rappeler qu’en 1942, le droit de vote des femmes n’était pas généralisé à l’ensemble des pays occidentaux. Aux États-Unis, la question a été dépassée en 1919, c’est la Seconde Guerre mondiale qui a permis une redistribution des rôles sociaux. C’est donc sur cette vague que surfait la plupart des films de cette période, constituant alors un nouveau cliché de cinéma, la femme indépendante et amoureuse. Pour le légitimer dans La Femme de l’année, le scénario ne lésine pas sur ce qui relève aujourd’hui du poncif susceptible de se retourner contre l’argument de départ : pour être indépendante en pensée, Tess Harding, qu’interprète Hepburn, doit parler au moins cinq langues, s’entendre avec tous les diplomates de la terre et, surtout, se doit de tout ignorer des choses pratiques, comme la cuisine et le ménage. Face à cet « anticonformisme » qui fait évidemment sourire, l’amoureux Sam Craig, qu’incarne Spencer Tracy, voit sa position de mâle dominant constamment attaquée, quitte à devenir un pot de fleurs qu’on range soigneusement dans le coin d’une pièce, rôle que l’on réservait bien évidemment aux femmes avant l’arrivée d’Hepburn sur la planète Terre.
S’il avait été mené avec plus d’entrain (à la manière des screwball comedies) et si le scénario avait su faire la part belle aux quiproquos, le film aurait probablement pu décoller de son objectif premier. Malheureusement, à l’image d’une ultime séquence assez laborieuse même si quelques gags fonctionnent plutôt bien (Hepburn, pour reconquérir son homme, décide finalement de prendre en charge les questions domestiques, ce qui donne le sentiment que tout le projet initial est vaguement contredit), le film ne se départit jamais de ce côté très daté qui, pour le coup, ne fait jamais illusion sur les sept décennies qui nous séparent de cette Femme de l’année 1942.