Dans le court métrage Pathways, Hagar Ben Asher mettait en scène une femme multipliant les aventures sexuelles dans la campagne israélienne ; c’est ce même personnage qu’elle développe cinq ans plus tard dans La Femme qui aimait les hommes. Loin des stéréotypes, ce premier long présenté à la Semaine de la critique en 2011 révèle une cinéaste au regard affirmé.
La femme qui aime les hommes, c’est donc Tamar, une gracieuse trentenaire mère de deux filles, qui, lorsqu’elle n’est pas occupée à sa batterie de poules, pratique volontiers masturbation, fellation et copulation sur et avec différents hommes des environs. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au moment où Shay, un vétérinaire que Tamar a bien connu, s’installe de nouveau dans la région. Prenant à rebours un schéma traditionnel, Hagar Ben Asher fait de leur mise en couple l’événement perturbateur qui va rompre l’équilibre de tout un écosystème.
L’implication totale d’Hagar Ben Asher dans un film dont elle est à la fois réalisatrice, scénariste et interprète principale n’est sans doute pas étrangère à la grande économie de moyens avec laquelle elle déroule son récit. On sent derrière les images une main sûre, un regard aiguisé, guidés par des intentions précises. Ainsi armée, Hagar Ben Asher parvient à concilier une grande épure narrative avec une plaisante opacité : le récit progresse par blocs, sans enrobage inutile, laissant parfois planer le doute sur ce qu’il « faut » voir dans le plan. C’est une forme de réalisme que la cinéaste met en place en ancrant son récit dans la plus grande quotidienneté et en défaisant toute hiérarchie entre les événements – l’absence de musique dans le film, à une exception près, est d’ailleurs symptomatique de cette démarche. Hagar Ben Asher ne cesse de lier les enjeux narratifs à des questions pratiques, celle notamment des trajets entre les maisons de Shay et de Tamar, le poulailler et l’école – qui va où avec qui, quand et par quel moyen. La bicyclette de Tamar acquiert ainsi une place centrale dans le récit, tantôt outil de libération, tantôt moyen de séquestration. Les relations sexuelles entre les différents personnages sont traitées avec la même attention. Évitant tout à fait une répétitivité qui paraissait pourtant inévitable, chaque scène apporte une nouvelle pierre à l’édifice narratif par la précision continuée du cadre et de la mise en scène.
Alors que le couple impose ses convenances à la vie de Tamar, on est peu à peu amené à voir en quoi les préférences sexuelles du personnage relèvent d’une contrainte intérieure. Le temps passant, elle semble de plus en plus accablée par sa situation, qui la retient de continuer à satisfaire ses voisins par crainte d’être blessante envers l’homme qu’elle aime. À bien des égards, La Femme qui aimait les hommes rappelle le Shame de Steve McQueen. Dans les deux films, une vie bien réglée, ni triste ni gaie mais au moins simple, se trouve remise en question par l’irruption dans la vie du personnage d’un corps étranger. Comme Steve McQueen, Hagar Ben Asher montre l’enfermement inhérent à ce qui pourrait passer pour une forme de liberté sexuelle. La forte présence animale dans le champ audio-visuel du film n’a donc rien de fortuit ; elle nourrit une évocation de la part irraisonnée, bestiale au sens propre, du comportement humain. Le sexe ici est d’ailleurs clairement une question de territoire : si Tamar veut s’échapper des quatre murs de la chambre pour retrouver les bosquets et autres granges, c’est de façon quasi instinctive, comme mue par une certaine idée des conditions de survie de l’espèce.
Le cheminement dramatique du film fait également écho à un certain pan du cinéma israélien d’aujourd’hui : comme dans Le Policier ou The Exchange, la mécanique monotone du quotidien ne fonctionne qu’en circuit fermé, elle menace de se gripper à la moindre confrontation avec une altérité qu’elle ne sait intégrer. La Femme qui aimait les hommes se termine malheureusement de façon assez maladroite, la cinéaste introduisant dans son récit une surcharge dramatique dont elle peine ensuite à se dépêtrer. Ce final révèle que la forme énigmatique du film ne renfermait finalement qu’un discours assez pauvre et que la neutralité du point de vue était aussi une forme de lâcheté. Sans remettre en question les qualités de metteuse en scène d’Hagar Ben Asher, l’on espère que, dans ses prochaines œuvres, le refus du moralisme ne sera plus synonyme d’inconsistance.