Meilleur film, meilleur acteur, meilleure actrice : aux derniers Donatello (l’équivalent italien de nos César), le nouveau film de Ferzan Özpetek a tout raflé, en plus d’un succès public considérable. Pas étonnant : d’un académisme pompier, La Fenêtre d’en face réunit tous les ingrédients pour plaire au plus grand nombre. Tout en brossant la conscience populaire dans le sens du poil avec un sujet noble, Özpetek dégaine l’artillerie lourde et s’affirme comme l’équivalent transalpin de notre Christian Carion et son Joyeux Noël pour maisons de retraite.
L’histoire de La Fenêtre d’en face est suffisamment dense pour remplir trois téléfilms de France 3 : Giovanna et Filippo forment un jeune couple sans histoires, partageant un appartement dans un quartier populaire de Rome avec leurs deux enfants. Elle est comptable dans une entreprise agro-alimentaire, jolie comme un cœur mais un peu aigrie par son emploi, sa vie de famille stressante et son mari peu coopérant. Lui est un gentil beauf, généreux mais immature, incapable de se construire un avenir professionnel. Pour oublier son morne quotidien, Giovanna aime bien rigoler avec sa voisine, accessoirement collègue de boulot et truculente confidente. Et en secret, quand mari et enfants sont couchés, elle s’allume une cigarette et mate par la fenêtre de sa cuisine son beau et mystérieux voisin. Un jour, alors qu’ils s’engueulent pour la énième fois dans les rues de Rome, Giovanna et Filippo rencontrent un vieux monsieur égaré. Parce que Filippo a le cœur sur la main, il le recueille chez eux contre l’avis de sa femme. De fil en aiguille, Giovanna va se lier d’amitié avec le vieux monsieur amnésique, découvrir la vérité sur son terrible passé et faire enfin connaissance – et plus – avec son voisin d’en face.
On peut comprendre ce qui a attiré Özpetek (réalisateur d’origine turque devenu une star en Italie – pays où il a grandi – après le succès de Hammam en 1997 et Tableau de famille en 2001) dans ce projet : dans le genre « cinéma pour grandes personnes qui aiment bien verser une larme devant un Grand Sujet de Société » (exemple type : Philadelphia), La Fenêtre d’en face est un ticket direct vers la reconnaissance. Le film bénéficie en outre d’un casting people en diable : une star-adorée-du-grand-public (Giovanna Mezzogiorno, fille de Vittorio), un acteur de légende (Massimo Girotti, vu chez Rossellini, Visconti, De Sica et Bertolucci et décédé juste après le tournage) et Raoul Bova, sex-symbol de calendriers reconverti dans les rôles de play-boys. On nage en plein fantasme cinématographique pour magazine sur papier glacé.
La démarche de Ferzan Özpetek est louable et le film aurait pu être vraiment intéressant si le réalisateur n’était pas complètement passé à côté de son sujet : le devoir de mémoire. Très vite, on apprend que Davide, le vieux monsieur, est juif, rescapé des camps et homosexuel, et qu’il a dû faire un choix terrible un soir de 1943, lors d’une rafle dans le ghetto juif de Rome. La confrontation du passé et du présent n’est utilisée qu’à des fins sentimentales, Özpetek négligeant totalement de s’interroger sur la place occupée par l’Histoire dans le quotidien des nouvelles générations. La notion de transmission est symboliquement – et maladroitement – évoquée à travers les leçons de pâtisserie prodiguées par le vieil homme, dont c’était la profession, à la jeune femme, qui rêve d’en faire son métier. C’est un peu léger, d’autant plus que Özpetek – lui-même gay – se complique la tâche avec la sexualité de son personnage, qu’il utilise comme un étendard pour défendre ses propres et louables convictions sans jamais creuser la question du génocide des homosexuels par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout comme les beaux gâteaux que préparent Davide et Giovanna, tout est lisse, glacé, joli et très, très lourd.
Voulant mettre les petits plats dans les grands et ratisser le plus large possible, Özpetek encombre son scénario déjà bien chargé par une historiette sentimentale complètement inutile entre Giovanna et Lorenzo, le voisin. Il est beau et séduisant comme dans une pub pour la Société Générale (normal, il travaille dans une banque), ce qui fait tourner la tête de la jeune femme, lassée de son caricatural mari (il aime le foot, la Playstation et, comble du mauvais goût, il lui saute dessus en pleine nuit pour faire l’amour). Peut-être Özpetek a‑t-il souhaité dresser un portrait de femme dans le Rome d’aujourd’hui, avec ses doutes, ses contradictions, ses angoisses… Toujours est-il que dès que le très inexpressif Raoul Bova apparaît (peu aidé, il est vrai, par un rôle inexistant), La Fenêtre d’en face sombre dans une bêtise abyssale. Dans ces moments-là, la mise en scène d’Özpetek (image léchée, travellings pompeux, musique d’ascenseur) devient insupportable. Le dernier plan (la caméra fixée sur le visage de l’héroïne pendant qu’une chanteuse italienne hurle sur le générique) résume à lui seul toute l’entreprise : Giovanna a beaucoup souffert et beaucoup appris, mais heureusement, sa peau est parfaite et ses dents très blanches. Derrière tout ça, le vide.