Pour son premier passage à la réalisation, Daniel Auteuil adapte La Fille du puisatier de Marcel Pagnol. Le choix du matériau laisse pressentir une nostalgie de l’acteur vis-à-vis de ses succès passés Jean de Florette et Manon des Sources. Vingt-cinq ans après le diptyque de Claude Berri, Daniel Auteuil retrouve les terres et l’accent du Sud, s’immerge à nouveau dans la langue de Pagnol pour redonner vie à l’un de ses films les moins connus. L’adaptation d’une œuvre dont le scénariste et dialoguiste porte un style aussi singulier est un exercice périlleux. Auquel s’ajoute la reprise risquée des rôles respectivement interprétés par Fernandel et Raimu par Kad Merad et Daniel Auteuil lui-même. Le résultat est un film statufié dans lequel Auteuil cède l’humour et la finesse de Pagnol au sentimentalisme. La poésie, qui chez le réalisateur de La Femme du boulanger se dissimulait derrière une apparente naïveté, une rusticité qui n’était que surface trompeuse, n’est plus à l’ordre du jour.
Pascal (Auteuil/Raimu), le puisatier du titre, élève seul ses six filles. Son employé et ami Félipe (Kad Merad/Fernandel) est amoureux de son aînée, Patricia (Astrid Bergès-Frisbey/Josette Day), et prévoit de lui demander sa main. Mais celle-ci voit les choses tout autrement. Sa rencontre avec le jeune aviateur Jacques Mazel (Nicolas Duvauchelle/Georges Grey) a raison de ses sentiments et lui donne un enfant. Avant qu’elle n’ait pu lui annoncer, le jeune homme, envoyé au front, est porté disparu.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la reprise du rôle de Raimu par Daniel Auteuil n’est pas la pire chose du film. Kad Merad qui remplace Fernandel, c’est déjà plus aventureux. La dévotion pathétique de Fernandel servait le personnage de Félipe d’une manière beaucoup plus subtile. Mais Kad Merad, sans être intéressant, n’en est pas mauvais pour autant. Là n’est pas encore le vrai problème du casting. Le film sombre véritablement dans le ridicule quand entrent en scène les personnages de Patricia et de Jacques. Josette Day apportait du caractère au rôle de Patricia, voire une certaine masculinité qui rendait palpable son éducation parisienne. À l’opposé, la jeune Astrid Bergès-Frisbey joue tout en préciosité, maniérisme et pleurnicherie. La première, feignant l’indifférence, résistait fièrement aux avances du jeune aviateur. La seconde laisse transparaître ses sentiments dès les premiers plans et lui cède facilement. Le personnage de Jacques n’est ici pas mieux servi. Nicolas Duvauchelle, décidément insupportable, ne parvient toujours pas à se défaire de son parler de voyou. Pour un rôle de gentleman de la bourgeoisie provinciale, ça passe mal.
Côté mise en scène, rien à signaler. Daniel Auteuil cadre serré et use du champ/contrechamp au point de nous faire regretter les longs plans de Pagnol, qui laissaient un peu plus respirer ses personnages. Les ellipses narratives (le scénario original a été amputé d’une trentaine de minutes) participent à cette asphyxie à ciel ouvert et donnent lieu à un film qui manque véritablement de souffle. Là où Pagnol prenait le temps d’installer ses scènes, l’adaptation de Daniel Auteuil apparaît comme un ramassé académique. En ce sens, l’absence de la magnifique beuverie de Félipe à la terrasse d’un café est à regretter. L’attroupement de la clientèle hilare autour de l’amoureux éconduit noyant sa peine dans l’alcool, numéro comique mêlé de pathétique, reste sans doute l’une des plus belles scènes du film original. Aux moments saisis par Pagnol se substitue une succession de cartes postales provençales chez Auteuil, qui se contente malheureusement d’illustrer le texte de l’auteur. Le travail sonore finit de donner à l’ensemble un côté figé et propret. On connaît l’attachement du portraitiste de la vie méridionale au son direct et le rôle que celui-ci a joué dans l’élaboration de son esthétique. Dans La Fille du puisatier de 1940, les cigales, les mots et l’accent du Sud formaient un tout indissociable, un tableau sonore qui se fondait parfaitement dans les images. Dans celle de 2011, les voix des acteurs, nettes et audibles à l’excès, sont au contraire plaquées sur les plans. Cet hygiénisme de la mise en scène ne laisse apercevoir aucune valeur ajoutée par rapport à la version originale, aucun écart, aucun choix esthétique, si ce n’est celui de faire du film de Marcel Pagnol un condensé soigné. Daniel Auteuil nous offre une adaptation de bon élève, un remake moribond et donc bien inutile.