La « Madre » du titre du nouveau film d’Alberto Morais (Les Vagues ; Les Gamins du port) est pour le moins une figure ambivalente, bien loin de l’image fantasmée de la mère aimante et idéale. Elle est, ici, le double objet d’un désir et d’un rejet : celui qu’éprouve pour elle son jeune fils de 14 ans, Miguel, face à cette mère instable, qui vivote d’un petit boulot à l’autre et s’avère incapable de s’occuper de lui. Alors, Miguel traficote pour survivre, entre deux cours au lycée, tout en essayant tant bien que mal d’esquiver les services sociaux et le couperet du foyer. Miguel ne peut plus supporter sa mère mais ne peut se résoudre à la laisser seule, et ce jeu du chat et de la souris le mène jusqu’à Bogdan, l’ex-amant de sa mère, chez qui il finit par trouver refuge. Mais pour combien de temps, et à quel prix ?
Alberto Morais suit son jeune héros à la trace, sans le lâcher d’une semelle, dans une forme ultra naturaliste que l’on serait tenté de résumer à une caricature : les Dardenne en terre ibérique, le cinéma au plus près de la vérité, du désespoir de ses personnages. L’intention est louable, le résultat à l’écran est nettement moins enthousiasmant. Faut-il vraiment que le regard porté par un cinéaste sur la misère et la souffrance se pose aussi peu de questions de représentation ? La fiction à l’œuvre dans La Madre ne se résout pas à décoller du récit, certes édifiant et toujours nécessaire, du quotidien de gens que l’on s’attache la plupart du temps à ne pas voir, à ne pas montrer. Sur ce point, la sincérité de la démarche d’Alberto Morais ne fait aucun doute : le soin apporté à l’écriture, au respect des personnages, révèlent la patte d’un cinéaste humaniste et préoccupé par le désir de rendre compte, humblement, du parcours de son jeune héros et de ceux qui l’entourent.
Rendre compte… compte-rendu ?
Pour autant, cette démarche se révèle ici bien peu porteuse d’idées de mise en scène, comme si « rendre compte » signifiait automatiquement se restreindre, accorder aux personnages le droit au minimum syndical formel, pas moins, pas plus. Alberto Morais propose un film à hauteur d’homme, de femme, d’adolescent mais se garde bien d’essayer de décaler un peu son regard, d’y insuffler un point de vue qui l’engagerait dans une autre forme de démarche que celle, assez paresseuse, d’un positionnement confortable, poliment en retrait, excessivement prudent. Un tel parti-pris se révèle finalement sclérosant, comme si le réalisateur redoutait de s’approcher d’un peu trop près. D’où le sentiment d’avoir vu ce film cent fois ailleurs, chez les Dardenne et d’autres, et de s’interroger : à quoi bon ? Alberto Morais n’a rien de neuf à dire sur son sujet, et c’est bien dommage. Le film s’achève sur une note amère, mélange d’espoir et de résignation pour le jeune héros, qui a traversé de nombreuses galères et désillusions pour en arriver à ce qui l’amenait justement à fuir. On quitte la projection en laissant le jeune Miguel derrière nous, sans que jamais celui-ci ne nous hante, avec regret, comme si le personnage avait glissé entre les doigts du réalisateur et s’évanouissait dans les limbes d’un cinéma qui, à trop vouloir garder la bonne distance, restait définitivement loin de ses personnages, et loin de nous.