Notre « histoire » avec La Meute, inaugurée par une news accrocheuse (casting alléchant, promesse de délire revendiqué), avait fini par se ternir suite au report continuel de sa sortie, un bouche-à-oreille peu flatteur et son interdiction de projection nocturne sur la plage de la Croisette. La production franco-belge débarque donc en cette rentrée avec une aura et une attente que l’on jugera dégonflées. Et c’est sans surprise que La Meute cavale avec ses gros sabots sur la piste horrifico-fantastique et patine sur la glaise d’un grand foutoir apparemment assumé.
Sur le macadam d’un plat pays identifiable à ses openfields, roule un petit mobile avec à son bord une belle plante pas farouche et plutôt rebelle (Émilie Dequenne). Elle y ramasse sur le bas-côté un grand chevelu, un tantinet cradingue et gentiment mystérieux (l’ex-bad-boy de la chanson française aux velléités d’acteur, Benjamin Biolay). Ces deux lardons s’enfoncent alors dans le wilderness belge et finissent par échouer dans un routier dont la tenancière n’est autre qu’une veille bourrue interprétée par Yolande Moreau. L’atmosphère on ne peut plus folklorique et insidieusement menaçante du lieu sera traversée de saillies bourrines et autres règlements de comptes orchestrés par des motards obsédés du rectum. Benjamin Biolay disparaît dans des toilettes où il trouve l’assurance de son invisibilité. Émilie Dequenne guettera son retour et reviendra sur les lieux pour tomber dans le piège d’une famille de geôliers dont la matrone, attention, nourrit ses petits enfants enfouis sous terre (croisement de morts-vivants et de vampires) avec le sang de ses victimes. Inutile alors d’avancer trop loin dans la boucherie ni de s’attarder trop longtemps dans les travées d’un pitch composé de terre, de golems, de chairs déchiquetées et d’un paquet d’hémoglobine susceptible de remplir les égouts de Paris…
Si la perspective du réalisateur de La Meute est de nous gargariser d’effets anxiogènes ou, sur le versant opposé, de défigurer le genre en décalage parodique, on avouera que l’angle pris est plutôt confus, disons obstrué. Rares sont les moments où l’entreprise nous soutire quelques onces de frissons ou nous transporte vers des chemins plus rigolards. C’est même sa nature hybride, son refus de choisir pour l’un ou l’autre de ses registres qui en fait l’écueil premier et lui donne cet aspect dénaturé.
Pour ce qui est de la terreur liée à l’approche fantastique, les maladresses d’une réalisation visant à comprimer le temps de l’étrange et bâtir un suspense, ne produisent qu’un amas de faiblesses où les puissances du faux n’ont jamais porté aussi bien leur nom. Et l’idée que les perspectives de départ et les moyens mis en œuvre ne coïncident jamais. On verra pourtant, dans La Meute, que tous les codes du genre (arrière-pays, isolement, rednecks en roue libre, pleine lune, course poursuite) sont respectés mais s’affichent comme un cahier des charges rempli jusqu’au bain d’acide nitrique. Car si nos acteurs répètent dans le dossier de presse que, sur le papier, le scénario promettait quelques effusions tordantes, sa matérialisation à l’écran épuise face à tant d’effets palliatifs (sonores, décoratifs) à l’amateurisme patent. L’objet courant rapidement à sa perte, ne suscitant que désintérêt constant, une césure s’opère entre l’invraisemblable étrangeté des débuts et la suite, débauche de sauvagerie pure. L’aventure conduira alors à une surenchère visuelle où la principale faute de goût reste de faire surgir du décorum des golems géants dont la plastique appelle une forme d’humour involontaire (Biolay ne s’y trompe d’ailleurs pas puisqu’il joue de dos et masque sans doute sa désapprobation lorsque apparaissent ces monstres braillards et fabuleux…).
La Meute est donc une énigme qui nous échappe constamment. On ne saura jamais si le film se nourrit du terril comique ou s’il boit jusqu’à plus soif dans l’abreuvoir sanglant. De ce déséquilibre qui peut servir de béquille salvatrice à certaines productions hybrides, le film de Franck Richard (qui peut déjà rayer la mention « directeur d’acteurs » de son CV) prend la forme d’une bouffonnerie poussive, caricaturale et malheureusement inoffensive.
Qu’en est-il alors de l’horreur au cinéma ? Après s’être vue populariser par des fans et des créateurs – qui n’y voient souvent plus que le plaisir de l’hémoglobine – et avoir abandonné sa facture politique, ne serait-elle pas condamnée à un versant parodique, incapable, à quelques exceptions notables, de se relever de sa course au tout visible généralisé ? Et même si le constat demeure un peu trop sévère, il est fort à parier que c’est peut-être ce que La Meute aurait pu faire de mieux : se parodier, glisser dans la dérision du genre et fondre, à la manière de Piranha (3D), les mécanismes du suspense à ceux de l’humour. Car face à ces silences pesants et inopérants, ces tentatives de charger l’atmosphère de ce que l’on n’ose plus appeler une « horreur délicieuse », ce dernier échoue lamentablement et peut effectivement, malgré lui, prêter à rire.