Nouvelle production en images de synthèse des studios Disney, La Reine des neiges poursuit dans la veine féministe de Raiponce en lui insufflant un souffle de noirceur. Mais le film, malgré de belles séquences musicales, patine trop souvent dans une beauté surgelée.
Mais que se passe-t-il à Disneyland ? Leur cinéma serait-il en pleine crise de l’âge adulte ? C’est bien le sentiment qui nous traverse lorsque l’on voit La Reine des neiges. En effet, le nouveau Disney de Noël n’a pas du tout la chaleur ni le merveilleux des classiques. C’est même un dessin animé qui se mange froid. Pour ce nouveau long-métrage, les équipes du studio ont ainsi ressorti un projet vieux comme Hérode (les premières esquisses dateraient des années 1940) : adapter le conte d’Andersen La Reine des neiges. On comprend très bien l’attrait que peut avoir une telle histoire. Tout en gardant un pied dans le féerique, son côté sombre permet de débouter les clichés du conte. L’héroïne, avec ses pouvoirs de geler tout ce qui l’entoure, est méchante malgré elle, la cellule familiale vole en éclat, les jeunes filles n’ont plus le droit de croire au coup de foudre, les princes charmants retournent leur veste (ou ne sont pas ceux que l’on croit) et l’antidote du maléfice ne se situe plus dans la quête amoureuse mais dans la réactivation d’un lien parental altéré.
Il en va de même avec les images, certes techniquement irréprochables, mais complètement délavées de toute l’hystérie cartoonesque habituelle. Comme toujours chez Disney, elles sont le fruit d’un long travail préparatoire des équipes d’animation qui se sont inspirées de la peinture et des paysages nordiques. En clair de neige, la lumière est toujours filtrée et assoit la domination du gris voire de l’obscurité. Le second degré (marque de fabrique des Pixar, DreamWorks et autres) est lui aussi distillé avec parcimonie. À côté d’étonnantes pierres qui parlent, la caution comique est aux mains d’un bonhomme de neige aux faux airs de Pierre Richard qui semble complètement parachuté dans un univers qui lui est hermétique. En somme, tout cela sent le sapin et paraît bien désenchanté.
Il y a quelque chose de fascinant à voir comment Disney se débat avec ses origines pour retrouver sa place au milieu des nouveaux studios. Paradoxalement, c’est en misant sur de vieilles recettes – celles qui lui avaient porté chance à l’époque de La Petite Sirène (encore un Andersen) et La Belle et la Bête – que le studio cherche le petit coup de fouet indispensable à sa survie. La Reine des neiges mise ainsi sur la comédie musicale et le pari, à ce niveau, est totalement réussi. Cela faisait longtemps que Disney ne nous avait pas autant séduit par ses numéros musicaux. Le style d’Alan Menken (compositeur attitré depuis une vingtaine d’années) pouvant paraître daté, les réalisateurs ont eu la bonne idée de faire appel à un génie de la scène actuelle, Robert Lopez, à qui l’on doit notamment la musique de Avenue Q et surtout de The Book of Mormon qui se joue actuellement à guichets fermés à New York et à Londres. Son style est symptomatique des nouvelles productions de Broadway, à mi-chemin entre la pop et le musical traditionnel, avec des lignes mélodiques très efficaces, Pour ce qui est des voix, ils ont aussi fait un sans faute en demandant à Idina Menzel (figure du musical anglo-saxon révélée dans Wicked et vue dans Glee) de doubler, dans la VO, le personnage principal. Le numéro le plus révélateur est sans conteste « Let it go », morceau tout en envolées, calibré pour les effets visuels et pour devenir un classique du genre. C’est aussi là que la Reine se révèle à elle-même, assume ses pouvoirs et aussi une nouvelle féminité particulièrement troublante.
Mais la virtuosité de ces morceaux de bravoure ne suffit pas à compenser les hésitations et la timidité du film qui a bien du mal à assumer son virage plus adulte. Pour preuve, les personnages (même si leur caractérisation joue sur l’ambiguïté et les retournements) restent bien lisses et la quête de la jeune sœur suscite rapidement l’ennui. Une lueur d’espoir affleure au moment du dénouement, lorsque le film est à deux doigts de renoncer au happy-end (comme dans Raiponce d’ailleurs). Mais même si elle s’accompagne d’un très beau plan digne d’un film d’heroic fantasy, l’audace est éphémère. In extremis, le final devient heureux et se complaît dans une morale simpliste et enfantine. Tout au plus, pourra-t-on garder de la fable une pseudo-allégorie écolo. Bref, dans cette Reine des neiges pourtant pleine de promesses, on cherche encore le feu sous la glace.