Pour évoquer la maladie d’Alzheimer, le réalisateur espagnol Ignacio Ferreras adapte le roman graphique Arrugas, signé Paco Roca, qui dépeint l’arrivée d’un résident réticent dans une maison de retraite. Un film d’animation soigneusement maîtrisé, à la mélancolie diffuse, qui n’atteint toutefois jamais le degré d’audace qu’il attribue à ses personnages.
« Dormir, bouffer, chier » : tel est le quotidien décrit par les pensionnaires de l’établissement spécialisé qui accueille Emilio à la suite d’une demande de ses proches. Malgré la présence en forme d’alibi d’une piscine et d’une salle de sport, la maison de retraite encadre rapidement le film d’animation avec des lignes droites et des surfaces uniformes. La Tête en l’air adopte d’emblée un ton très figuratif fait de plans fixes où la symétrie trace ses traits, doublé d’un graphisme des personnages réaliste, tout en retenue. Les aventures d’Emilio et Miguel, son compagnon de chambre, n’ont rien d’extraordinaire : les journées s’enchaînent sans qu’il soit possible de les différencier, et les compères injectent toute la dynamique au long-métrage. Si le premier reste débonnaire, le cynisme du second apporte à la fois humour et lucidité au film d’animation. La violence des propos laissée aux personnages rassemblés arbitrairement, le décor cache l’angoisse du huis clos dans un étage réservé aux « assistés », dernière étape avant liquidation, et repoussoir pour la plupart des résidents.
Lancés dans une lutte dont le dénouement est entendu d’avance, Emilio et Miguel traversent le quotidien avec une motivation toute relative : La Tête en l’air joue sur la distinction entre temps perçu et temps vécu, sans hésiter à répéter plusieurs fois certaines scènes, ou en éviter d’autres. La maladie d’Alzheimer, elle, se manifeste de façon plus subtile, à partir d’indices plutôt que d’effets de mise en scène : « Tu me dis ça tous les jours », et autres expressions courantes, suffisent à évoquer les effets. De longues scènes farcesques, comme celle de la séance de gymnastique, s’avèrent presque plus gênantes, car elles érigent les pathologies en moteur de l’action (aucun des vieux ne parvient à envoyer correctement la balle) sans en fournir une approche inédite. À l’inverse, lorsque les résidents s’écartent de la routine généralisée, la mise en scène devient virtuose, semble se libérer dans des cadrages et des mouvements de caméra plus élaborés. Ces mises en danger volontaires participent au sentiment d’assister à un sursaut de vie, sans qu’il s’agisse pour autant d’un comportement foncièrement égoïste vis-à-vis de proches non plus soucieux, mais inquiets.
Malgré cette approche psychologique plutôt fine, La Tête en l’air se perd souvent dans une imagerie élémentaire pour un film sur la vieillesse : outre la feuille morte comme métaphore du cycle de la vie, les retours en arrière s’avèrent tout aussi convenus, se distinguant du reste du long-métrage par un changement des couleurs. Par ailleurs, et sans faire de procès idéologique, l’oubli de l’euthanasie comme conclusion possible à cette survie forcée manque singulièrement à un film qui évoque la fin de vie et le désir de la poursuivre ou non…