Dans les embouteillages des sorties de films de la rentrée, voici l’énième avatar de la comédie française à petit budget, pas désagréable à regarder, mais qui repose exclusivement sur son scénario (inégal) et ses comédiens (très bons, heureusement). Soit précisément ce qui, à longueur d’année, finit franchement par énerver tant le manque d’ambition de toute une génération de cinéastes commence à ressembler, de plus en plus, à une tendance généralisée à la paresse intellectuelle. Bien entendu, on ne va pas demander à Marc Fitoussi de révolutionner la comédie, mais serait-ce trop que d’attendre un minimum d’ambition de la part d’un jeune réalisateur qui semble croire que suivre un scénario à la lettre est suffisant pour faire du cinéma ?
La fainéantise à l’œuvre dans La Vie d’artiste est d’autant plus agaçante que le principe du film est tout à fait engageant : trois personnages, qui n’ont rien en commun et ne se connaissent même pas, symbolisent le versant sombre de cette valeur absolue de ce nouveau siècle, la célébrité. Trois ratés magnifiques qui n’aspirent qu’à la reconnaissance et ne doivent se contenter que des miettes : Alice (Sandrine Kiberlain) rêve de brûler les planches ou de briller sous les projecteurs, mais de mauvais choix de carrière l’ont menée à des doublages de mangas débiles, très lucratifs mais évidemment frustrants. Bertrand (Denis Podalydès), prof de français aigri, tente de boucler son second roman bien que tout le monde (femme et éditeur compris) s’épuise à lui répéter qu’il n’a aucun talent. Cora (Émilie Dequenne) voudrait devenir chanteuse sans se compromettre dans des émissions de télé-réalité mais accumule les humiliations dans des petits jobs sans intérêt. Il y a là suffisamment de matière pour faire un très beau film sur les millions d’aspirants artistes qui croient dur comme fer en leur talent mais ne parviennent jamais à convaincre personne, sur la beauté de leur foi inébranlable et imperméable à tous les affronts, sur l’univers impitoyable du showbiz dont le miroir déformant rend tous ceux qui échouent en losers pathétiques, quand bien même ils ne sont pas si éloignés de nous.
Las, Marc Fitoussi choisit d’en faire une comédie, et pourquoi pas ? On lui saura gré de ne (presque) jamais tomber dans la condescendance ni le graveleux et de réussir quelques scènes et dialogues assez irrésistibles. Mais tous ses personnages n’ont pas la même chance. Un tiers du film est réellement réussi : l’histoire d’Alice est celle qui évite le mieux la caricature et transcende même son sujet pour devenir un beau portrait de femme, complexe parce qu’à la fois touchante et insupportable, victime du système mais également de ses erreurs passées. Entourée de seconds rôles finement joués par Marilyne Canto et Camille Japy, Sandrine Kiberlain fait d’Alice un personnage délicieusement ambigu, dont la mauvaise foi et l’égocentrisme accentuent paradoxalement le caractère sympathique.
On ne peut pas en dire autant des deux autres « héros » du film. Plus conventionnelle, l’histoire de Bertrand se laisse voir sans déplaisir mais manque singulièrement de mordant malgré son potentiel. L’écrivain raté se lie d’amitié avec un de ses élèves, qui lui passe un de ses manuscrits, dont l’exceptionnelle qualité va pousser Bertrand à commettre l’irréparable : s’attribuer la paternité du texte auprès de sa femme et de son éditeur (sujet déjà traité dans Imposture de Patrick Bouchitey). Fitoussi voudrait faire de cette intrigue une parabole sur l’égoïsme de l’artiste qui néglige son environnement familial au profit de son art. Hélas, Fitoussi reste en surface, jusqu’au dénouement final, pirouette qui se voudrait ironique mais dont le ton moralisateur (l’élève donne une leçon au maître, les plus belles preuves d’amour naissent dans l’épreuve) atténue considérablement la portée. Mais ce n’est rien face à l’ineptie de la troisième « partie » du film, sorte de compilation de tous les clichés attendus sur le showbiz (tous des requins ou des ringards), les petits boulots (dégradants, d’accord, mais après ?) et l’amour (il se cache tout près). On peut s’interroger sur ce qui a bien pu motiver Fitoussi à développer cette intrigue dont il semble se désintéresser au fur et à mesure que le film avance, laissant la pauvre Émilie Dequenne seule avec un personnage inconsistant.
À n’en pas douter, La Vie d’artiste va plaire : parce que les dialogues sont souvent réussis et le message convenu et moral, que les comédiens s’acquittent fort honorablement de leur tâche et, surtout, que la comédie française d’aujourd’hui séduit le plus grand nombre en jouant la carte du sentimentalisme pathétique : « regardez à quels point leurs vies sont tristes et ratées, regardez comme leurs échecs sont drôles, et pourtant eux aussi ont droit à une seconde chance ». C’est peut-être un signe des temps, les feel good movies de notre époque mais, sans point de vue ni profondeur, entre cadrages bien sages et champs-contrechamps systématiques, c’est de la mise en images, pas du cinéma.