Si l’on avait pris le titre de La Vie en grand à la lettre avant de le voir, on aurait pu croire à un film zoom, à une enquête d’investigation sociologique affrontant son sujet en face mais courant le risque de s’enliser dans l’exploration très terre-à-terre d’un thème peu novateur. En effet, le film de Mathieu Vadepied raconte l’histoire d’un adolescent de banlieue, Adama incarné par Balamine Guirassy, qui essaie tant bien que mal de conjuguer les impératifs scolaires avec le quotidien difficile auquel le dénuement de sa famille éclatée semble le condamner. Un jour, son ami Mamadou (Ali Bidanessy) trouve une barrette de shit par terre et les deux garçons s’engagent sur le chemin périlleux du trafic de drogue pour pouvoir enfin acheter et offrir ce qu’ils désirent. En réalité, le charme du film réside dans le mouvement contraire qu’il effectue à la fois dramatiquement et visuellement : plutôt que de s’approcher, il s’autorise un éloignement qui reflète à merveille le regard subjectif de l’enfance. En effet, dans La Vie en grand, cette distance se déploie selon un axe vertical que représentent bien l’utilisation régulière de la contre-plongée et de la plongée. Mamadou et Adama regardent le monde par en haut et par en bas : par leur taille insignifiante, ils sont conduits à le voir comme plus vaste et impressionnant que parents et professeurs. Cependant, ils se positionnent également en surplomb, contemplant avec humour et légèreté des sujets que l’âge adulte tend à prendre au sérieux. Par l’alternance de l’amplification et la miniaturisation de leur univers, Mathieu Vadepied donne une autre dimension au portrait de ses deux pieds Nickelés. C’est en s’inscrivant davantage dans le registre du conte de fée que dans celui du film social qu’il délivre un propos original sur l’enfance et sur l’éducation.
L’école en grand
Si les péripéties d’Adama sont intéressantes, c’est notamment parce que le trafic de drogues n’y fait pas figure de point de rupture scellant la chute irrémédiable du héros dans le monde des grandes personnes. Il n’est pas présenté comme un tourbillon malin qui l’éloigne nécessairement du milieu scolaire et par extension de son enfance. Au contraire, tout au long du film, Adama est caractérisé par son statut d’écolier. Il est sommé d’améliorer ses résultats, menace qu’il va prendre au sérieux, si bien que ses deux entreprises, l’illicite et l’académique, sont prises dans un même élan appliqué. Son appartenance à l’établissement est rappelée par les accessoires à sa disposition : il additionne, par exemple, les quantités vendues sur son cahier d’écolier. On apprécie également la manière de filmer le collège qui n’est pas restreinte au sempiternel cadre de la salle de classe. Épousant le regard des minuscules héros, la caméra explore le bâtiment comme un vaste terrain, aux recoins multiples, dans lequel il possible de se perdre et de se cacher. Le collège n’est pas un simple décor mais un lieu de vie : on en veut pour preuve le rôle central donné au sport dans cette comédie qui montre les personnages dans des attitudes corporelles peu conventionnelles. Ils aussi souvent assis sur leurs chaises que debout sur la poutre du gymnase ou allongés sur des tapis pour apprendre à respirer ou dormir.
« L’intelligence, tu connais ?»
Certes, on pourrait voir dans ce rappel de l’enfance une manipulation par l’émotion . Le casting joue un rôle important dans cette jeunesse que l’on attribue aux héros qui, avec leurs visages de chérubins, ont délibérément été choisis pour attendrir le spectateur et frôlent parfois le cabotinage. Le film ne cesse, par ailleurs, de souligner la disproportion entre leur taille, leurs accolades de petits garçons et leur négoce qui est automatiquement déresponsabilisé. Mais, une telle lecture ferait l’impasse sur l’apprentissage subversif de la ruse que met en scène le film.
Dans une même scène, Adama acquiert du capital culturel (un sonnet de du Bellay) tout en coupant sa drogue pour la vendre. L’effet est saisissant car il semble que les deux monnaies d’échange deviennent presque interchangeables pour obtenir une récompense. Si le film ne va pas jusque-là, les personnages n’apprennent pas l’altruisme (même si ils dépensent spontanément leur argent dans de bonnes œuvres, ce qui est un peu miraculeux) ou la contemplation mais une certaine forme d’intelligence du recul qui leur permettra d’accéder à des fins pragmatiques qu’ils ne soupçonnaient peut-être même pas. Également présenté à Cannes en clôture de la Semaine de la Critique, La Vie en grand formule donc une sorte de réponse distanciée au Dheepan de Jacques Audiard qui s’aventure dans le même décor. Ce n’est pas seulement que les mêmes thématiques graves y sont traitées par le biais de situations ou de dialogues cocasses (la fausse famille) mais les artifices diffèrent. Mathieu Vadepied préfère, par exemple, les plans large en plongée qui simulent le regard d’Adama aux plans à vol d’oiseau qui supposent une omniscience presque divine. Ainsi, dans ces plans vus de haut par un enfant, on ne se focalise pas sur le frisson de la descente de police mais on l’observe comme une course-poursuite légèrement ridicule dont la violence et le sérieux sont évacués.
Le diable est donc dans les détails et, sous ses airs irréprochables (c’est à ce statut qu’aspire continuellement le petit Adama pour mener à bien son entreprise de vente), La Vie en grand place en son cœur le parfum sulfureux de la liberté et de l’allégresse.