« Même sous la pluie, je t’attends mon amour » : cette chanson mélancolique de Françoise Hardy est le fil d’Ariane du quatrième long-métrage de Julie Lopes-Curval qui y tisse l’histoire d’une passion amoureuse. Alice, issue d’un milieu modeste, vit à Bayeux et aspire à travailler dans la mode. Une styliste rencontrée au hasard la prend sous son aile et l’aide à intégrer l’école Duperré à Paris. Alice s’y installe et rencontre Antoine, le fils de sa bienfaitrice, dont elle tombe éperdument amoureuse se donnant corps et âme à cette passion.
Julie Lopes-Curval questionne la possibilité de la mobilité sociale à travers le prisme du couple que tout oppose, et également à travers celui de l’éclosion d’une jeune femme qui souhaite exercer le métier qui la passionne mais se heurte à des barrières sociales et à ses propres défauts. Si le traitement du premier souffre parfois d’un manque de subtilité, l’autre est joliment déployé.
Qui s’y frotte s’y pique
Julie Lopes-Curval dit s’être inspirée de certains romans d’apprentissage (Martin Eden de Jack London ou Chez les heureux du monde d’Edith Wharton) afin de tracer le chemin jonché d’obstacles de son héroïne ambitieuse mais fragile. Contrairement aux codes littéraires de ces récits, elle s’intéresse à la trajectoire ascendante d’Alice et non pas à sa descente aux enfers, à son évolution intellectuelle et sociale certes obstruée mais certaine. Le couple qu’elle forme avec Antoine frôle souvent le cliché (prolo vs bourgeois, un schéma scénaristique qui revient beaucoup ces derniers temps sous diverses formes, de La Vie d’Adèle de Kechiche à Pas son genre de Lucas Belvaux) et le film manque d’originalité dans sa conclusion inéluctable d’échec. Car chacun d’eux, qui n’assume pas d’appartenir au milieu dont il est issu, va maladroitement et inconsciemment (et de façon prévisible) utiliser l’autre pour parvenir à trouver sa place, ce qui précipite le délitement du couple. Ce n’est finalement pas grâce à l’amour, qui a pourtant été un apprentissage incontournable et essentiel pour eux, que l’épanouissement a lieu mais grâce à la plénitude atteinte dans le travail (Alice finit par trouver un travail dans le design de parfums, Antoine dans la photographie). Julie Lopes-Curval peine cependant à insuffler de la finesse dans ce constat et la posture de Pygmalion qu’adopte Antoine vis-à-vis d’Alice, admirative et avide de connaissance, donne lieu à quelques dialogues intellos qui sonnent faux et qui effleurent certains questionnements intéressants sans les approfondir (Qu’est-ce que l’opportunisme et la réussite sociale ? L’amour peut-il transcender les disparités sociales et intellectuelles ?).
À l’ombre des jeunes filles en fleur
Le film prend son envol lorsqu’il se concentre sur l’avancée professionnelle et florissante du personnage d’Alice, à travers une narration très elliptique dont le seul repère est des gros plans à répétition d’Alice dans le bus lors de ses aller-retours réguliers à Bayeux. Les années filent sans laisser de trace et Alice pousse, fleurit, non sans peine (la fleur est un motif qui l’accompagne tout du long, peut-être un peu naïvement mais joliment). Elle passe de la laine, matière brute et un peu grossière qu’elle détricote à souhait dans sa baignoire à Bayeux, à la broderie, travail d’ornementation délicat et infiniment précis qu’elle découvre dans la prestigieuse et élitiste école parisienne qu’elle fréquente. Au gré de sa pratique, elle passe du motif ennuyeux de la belle rose rouge à la figure nettement plus complexe du pavot, belle plante herbacée aux multiples symboles (parfois symbole de la mort, ses graines ont des propriétés gustatives et sa capsule a des propriétés sédatives), de son éclosion à son flétrissement, métaphore de sa relation amoureuse qui s’étiole.
Pareille à Pénélope qui tisse et défait sa tapisserie dans l’attente du retour d’Ulysse ou à Mathilde de Bayeux (elle n’est pourtant pas l’auteur de la tapisserie de Bayeux relatant les exploits de son mari, Guillaume le Conquérant, comme le voudrait la légende mais Lopes-Curval fait d’elle un beau « leitmotiv » symbolique, floral et olfactif), Alice, dont les pensées sont remplies par Antoine, brode avec ferveur dans une série de gros plans qui capturent sa détresse et sa résignation dans l’attente de son amant (Bastien Bouillon parvient à apporter de l’humanité à ce rôle peu aimable). Ana Girardot, dont le jeu s’affine tout au long du film (ses bafouillages du début sont peu convaincants), capture avec grâce le passage de l’adolescente craintive et peu sûre d’elle à la femme toujours fragile mais épanouie et mûre. Beau personnage que celui-ci dont on capte les subtilités, de la douceur à la rage, de la graine à la plante et qui soutient un film inégal mais tendre.