En 2002, Fernando Meirelles offrait un tableau étourdissant, âpre et violent de la jeunesse brésilienne avec La Cité de Dieu, coup de poing à la forme clipesque et au contenu décapant qui a laissé nombre de spectateurs sur le carreau. Sans être le chef-d’œuvre décrit par ses admirateurs, La Cité de Dieu avait le mérite de donner une bonne claque à ceux qui préféraient ne retenir du Brésil que les images de carte postale associées au carnaval de Rio.
Trois ans plus tard, la réalisatrice Alice de Andrade entamait un tour des festivals internationaux avec son premier long métrage, Le Diable à quatre, récompensé à maintes reprises. Maintenant que le film sort chez nous, on peut bien se demander pourquoi tant d’engouement. Chronique sur le mode comico-tragique du quotidien de quatre personnages aux univers diamétralement opposés, Le Diable à quatre ressemble à une version brésilienne de Plus belle la vie (le soap-opera marseillais de France 3) remixée à la sauce Almodóvar. La réalisatrice se réclame d’ailleurs du cinéaste espagnol, tout comme de l’influence des télénovelas qui polluent les petits écrans d’Amérique du Sud. Or, il ne suffit pas de poser ses personnages dans un décor kitsch pour faire référence au metteur en scène de Tout sur ma mère. De même que parodier la vacuité mélodramatique des feuilletons à l’eau de rose demande un minimum de recul, ce dont Alice de Andrade semble bien incapable.
Le Diable à quatre, quatre pieds nickelés que la réalisatrice tente désespérément de rendre intéressants : une jeune nounou dont l’air sage révèle un caractère bien trempé, un surfeur issu d’une famille bourgeoise accro à l’herbe et aux putes, un gamin ayant fugué de sa campagne pour faire fortune à Rio et un proxénète à la main lourde et au cœur d’or. Personnages hauts en couleurs autour desquels gravitent des seconds rôles glanés çà et là dans la filmographie d’Almodóvar : mères de famille nymphomanes, femmes de ménage alcooliques, putes à grandes gueules et travelo suicidaire. Coincé dans un décor en toc (le bord de plage de Copacabana, mélange de sable fin et de grands ensembles immobiliers), tout ce petit monde s’agite autour d’une intrigue censée brasser les grandes questions de société du Brésil actuel : jeunes désœuvrés, prostitution, flics et politiciens ripoux, trafics de drogue, enfants des rues… Rien n’échappe à la caméra de la réalisatrice et pourtant, rien de ce qui est dit ne sonne juste. Qui trop embrasse mal étreint ? Oui, mais pas seulement. Passons sur la laideur de l’image qui pâtit justement de la comparaison avec le style tape-à-l’œil mais efficace du film de Meirelles (et que la cinéaste tente vainement d’imiter sur quelques zooms aussi ridicules qu’inutiles) ; ce qui gêne considérablement ici, c’est l’incapacité d’Alice de Andrade à rendre ses personnages consistants, car ils sont réduits à des caricatures que le vernis satirique ne fait que renforcer. Ça gesticule, crie et court beaucoup comme dans une pièce de boulevard (curieusement, on pense parfois à la galerie de paumés du Père Noël est une ordure, les rires en moins) mais ça ne convainc jamais : chaque personnage reste en surface de la question sociale qu’il est censé représenter, un peu comme dans une mauvaise sitcom.
Dans son dernier quart, le film prend un ton plus grave, flirtant avec une poésie de bazar qui ne fait qu’accentuer le sentiment général de n’importe quoi. Transformé en road-movie, Le Diable à quatre s’embourbe dans une symbolique simpliste (rien ne vaut le retour à la terre et à la mère, amen) et expédie le sort des personnages en trois tours de cuillère à pot : au bout d’1h44, pressée d’en terminer avec son film, Alice de Andrade baisse définitivement les bras. Le spectateur, lui, est parti depuis longtemps.