« Pour vivre heureux, vivons nombreux ! » : ce pourrait être l’adage de Pascal Thomas qui, pour son quinzième long métrage, entraîne Mathieu Amalric, Laetitia Casta et Pierre Arditi dans une comédie joyeusement anarchique (et un brin anarchiste) sur la communauté et les individualismes qui en résultent forcément. Hélas, le désordre au cœur du film imprègne la pellicule jusque dans ses moindres recoins : bruyant, agité et souvent fatiguant, Le Grand Appartement de Pascal Thomas donne rapidement envie de mettre la clé sous la porte.
Francesca et Martin aiment leur vie de bohème privilégiée : protégés par la loi de 1948, ils vivent dans un immense appartement en plein cœur de Paris qu’ils partagent avec leur entourage aussi adoré que farfelu. Quand la méchante propriétaire veut récupérer son bien et que l’équilibre de cette famille improbable est menacé, Francesca se réinvente en passionaria prête à tout pour défendre son petit univers. Martin, pendant ce temps, se laisse volontiers séduire par une nymphomane hystérique sans se douter que son couple, autant que son petit monde douillet, est en danger.
Dans les films de Pascal Thomas, le bordel fait souvent sa loi : déjà, dans Les Maris, les femmes, les amants (1988), La Pagaille (1991) ou Mercredi folle journée (2000), les personnages traversaient l’histoire en se cognant régulièrement les uns aux autres tout en prenant un malin plaisir à entretenir le brouhaha ambiant. Le cinéaste ne change pas de registre avec ce Grand Appartement aussi structuré qu’un château de cartes. Rien n’est vraiment vraisemblable dans cette tour de Babel réinventée en appart haussmanien : le cinéaste, ami du couple et vieux beau séducteur qui multiplie les conquêtes en oubliant de mettre la main à la pâte (et au porte-monnaie), la grand-mère sénile qui passe son temps à confondre les toilettes et le salon… et en premier lieu, le couple improbable Laetitia Casta/Mathieu Amalric, soit l’alliance d’une pipole qui se rêve actrice intello et d’un acteur intello qui se rêve pipole. La rencontre de ces deux univers peut laisser sceptique mais trahit bien l’ambition de Pascal Thomas pour son Grand Appartement : faire un film résolument personnel tout en tâchant de distraire le plus grand nombre.
À l’image du sujet même de son film, Pascal Thomas se jette la tête la première dans un discours pléthorique qui se voudrait tout à la fois politique et poétique, fantastique et réaliste, capable d’oser une vanne périmée sur les Lofteurs de M6 (c’était il y a cinq ans déjà…) et un peu plus loin une scène onirique où la Casta, poing levé et poils sous les bras (chez Pascal Thomas les femmes ne s’épilent pas), disserte sur la nécessité de défendre son idéal communautaire. Si tout cela dégage ça et là une énergie fort sympathique, reste tout de même une forte impression de désuétude − peut-on encore croire aux Babas à l’heure des Bobos ? − qui parvient à peine à cacher de réelles maladresses dans la mise en scène, notamment au niveau de la direction d’acteurs. Et c’est peu dire qu’ils sont courageux : Mathieu Amalric et Laetitia Casta se démènent sacrément et ressortent finalement grandis de cette véritable épreuve de force qui consiste la plupart du temps à les pousser aux confins du ridicule (adresses caméra, théâtralité à outrance, nudité peu avantageuse…).
Si les comédiens sonnent parfois faux, ils ne sont que raccords avec les intentions du cinéaste. Le Grand Appartement a l’air improvisé de bout en bout, mais les dialogues sont si téléphonés, les acteurs si peu à l’aise que le sentiment de spontanéité et de fraîcheur voulu par Pascal Thomas retombe comme un soufflé. Au lieu de quoi, le film souffre d’un manque cruel d’ambition esthétique et d’une naïveté souvent agaçante dans son propos : les communautarismes (peu importe la forme qu’ils prennent) ravivent les individualismes, la vie en autarcie favorise le repli sur soi mais, paradoxalement, qu’il est quand même sympathique de se créer une grande famille !… Voilà un bien joli discours qui ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films…