Deuxième adaptation au cinéma, après celle de Jean-Gabriel Abicocco en 1967, de la seule et unique œuvre d’Alain-Fournier, mort dans les tranchées en 1914, ce Grand Meaulnes n’a pas fière allure. Le début du roman est, lui, resté intact : en 1910, François Seurel, qui prépare avec son père instituteur le brevet supérieur, voit arriver à Sainte-Agathe, son village solognot, Augustin Meaulnes, qui ne tarde pas à entrer dans la légende de l’école par son mystère et sa disparition. Adieu la légèreté poétique de l’évocation, bienvenue dans le monde merveilleux du gros plan sur les tableaux noirs de nos aïeux et les leçons de choses pré-délinquance urbaine.
Jean-Daniel Verhaeghe a respecté le minimum : une très libre trame narrative. François Seurel est toujours aussi envoûté par Augustin, de trois ans son aîné. Ses parents sont toujours instituteurs. Augustin prend la fuite, rencontre Yvonne, fait le serment au frère de celle-ci, Franz, de retrouver sa fiancée partie… mais, en fait, tout a changé. En premier lieu, on ne croit pas un instant à la faible différence d’âge entre les deux amis, qui était un des piliers de la relation amicale du roman, parce que Jean-Baptiste Maunier semble sortir de l’école primaire des Choristes, et que Nicolas Duvauchelle le surpasse en tous points. C’est d’ailleurs sans doute pour ce film que le jeune acteur a été choisi ici, tant Jean-Daniel Verhaeghe s’acharne à reproduire la nostalgie des films qui se multiplient sur le sujet.
Tout est donc là : le tableau des hussards noirs de la République, les petits encriers qui noircissent les doigts des charmantes têtes blondes de nos campagnes, les sous-bois ensoleillés… il ne manque que la musique. Le réalisateur aime la Sologne et la filme dans toute sa splendeur. Il aime également son Augustin, Nicolas Duvauchelle, qui, seul au milieu de tant de platitude, réussit à insuffler de temps à autre un brin de fraîcheur. Mais il filme ses personnages et ses décors de la même manière pendant une heure quarante : il s’en approche doucement avant de tourner autour de ses proies. On se demande parfois si Jean-Daniel Verhaeghe a vu moins de vingt fois Un homme et une femme de Claude Lelouch.
Jean-Baptiste Maunier ne parvient, quant à lui, jamais, à trouver le ton juste de l’admiration, se laissant trop souvent aller à dire ses dialogues comme un enfant réciterait un poème de Supervielle. Même les seconds rôles, notamment ceux tenus par Jean-Pierre Marielle (tout droit sorti des Âmes grises) et Philippe Torreton ne sortent pas de l’anecdotique. Mais le film serait une simple comédie sentimentale comme on en voit tant ces temps-ci si elle n’avait pas vocation à adapter un roman. Or, il devient, pour les amateurs du livre, une destruction totale.
L’exemple parfait est la narration de la fuite de Meaulnes : c’est un des moments clé du roman. Augustin raconte à François ce qui lui est arrivé pendant sa disparition. Il a été entraîné par deux acteurs dans un château où une fête se prépare pour le mariage du fils de famille, Franz. Augustin entend la musique avant de voir le théâtre des festivités, avant d’entrer dans le salon de musique où il rencontrera Yvonne qu’il aimera avant de connaître. Le style d’Alain-Fournier retranscrivait des sensations, et une atmosphère irréelle, rêveuse, un mouvement perpétuel qui n’appartenait plus à son personnage et devenait par là une scène hors du temps. Jean-Daniel Verhaeghe transforme l’évocation en démonstration : Augustin arrive au cœur de la fête, et croise d’un seul regard, bien souligné par un gros plan, la fameuse Yvonne qui lui sourit, loin de son piano. La scène, loin de l’éphémère enchantement du Meaulnes d’écriture, devient une banale scène de coup de foudre. Elle est à l’image du film.
La dernière erreur de cette adaptation est d’avoir voulu à tout prix marquer un ancrage dans l’Histoire, absente ou presque du roman : elle tombe alors dans le conventionnel le plus attendu. François lit Le Tour de France raconté par deux enfants, la guerre de 1870 n’est jamais loin. S’arrêtant sur des événements politiques comme la mobilisation de 1914, Verhaeghe en oublie la logique temporelle du récit. Les mois passent sans qu’aucune trace n’en soit présente : une mention spéciale d’invraisemblance devrait à ce propos être accordée à Jean-Baptiste Maunier qui, avec son joli visage de premier communiant, ne ferait croire à personne qu’il est instituteur en fin de film. Le roman racontait une amitié troublante et troublée, le film veut aller vers la guerre de 1914, dont il n’est jamais question chez Alain-Fournier. Et fait mourir son grand Meaulnes en soldat, alors que celui-ci disparaissait, s’enfermant un peu plus dans un mystère que le réalisateur n’a visiblement pas compris.
Jean-Daniel Verhaeghe a‑t-il voulu ainsi faire de son film un nouveau drame sur le passé de nos ancêtres ? Certainement. Il s’inscrit beaucoup plus dans la lignée du Temps des porte-plumes et autres Choristes à croix de bois que dans la volonté de retranscrire visuellement un lyrisme littéraire, bien vain ici. Si l’envie de découvrir cette histoire vous prenait, à bon droit, lisez Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, et oubliez vite ce fade ersatz.