En adaptant l’ouvrage mythique de Sempé et Goscinny, Laurent Tirard plonge dans le grand bain d’une représentation toute lisse, sans grand relief. Tout est cadré au millimètre pour retranscrire l’ambiance nostalgique des années 1950, les acteurs font tout ce qu’ils peuvent… Rien à faire : ce Petit Nicolas-là ne sera jamais le chef d’œuvre d’humour, d’impertinence et de tendresse que ses deux auteurs étaient parvenus à créer de leurs plumes. D’où cette question : quel est l’intérêt d’une telle adaptation ?
« Essayer de comparer le film au livre est inutile », dit Jean-Jacques Sempé lorsqu’on l’interroge sur sa réaction au film. Mal nous en prendrait ! Car on resterait alors définitivement nostalgique du trait si caractéristique du dessinateur, de l’écriture si particulière de son deuxième papa, René Goscinny, de ce « goût de mômes », ce goût d’enfance pour employer une expression un peu tarte à la crème, mais qui est bien justifiée dans ce cas, qui émanaient des albums du Petit Nicolas.
Alors quoi ? On tente de prendre le film pour ce qu’il est, et on regarde son univers comme s’il était lointainement inspiré de l’histoire et de sa forme originelles. Pour adapter un mythe qui fourmille d’épisodes tous alléchants, Laurent Tirard s’est concentré sur une histoire : entendant une bribe de conversation, Nicolas croit comprendre qu’il va avoir un petit frère et que ses parents vont l’abandonner dans la forêt. Le film est donc concentré sur la résolution de ce problème. La réalisation, en soi, n’est pas malhonnête. Et comporte bien quelques liens avec l’ouvrage : un cadre intemporel, des prénoms caractéristiques, des gamins justes dans leur monde. Là s’arrête la comparaison. D’ailleurs, Le Petit Nicolas, le film, n’est pas un dessin animé. Il eut été bien difficile de faire un film qui aurait consisté en une série de plan cadrés sur des dessins de Sempé et agencés comme au cinéma. Mais difficile de retranscrire l’esprit du Petit Nicolas (le personnage lui-même et ceux qui l’entourent), sans le trait caractéristique de Sempé. Ce fil léger et très simple donnait au petit garçon un côté fier et impertinent et classait automatiquement l’ouvrage du côté de l’humour. Du coup, à passer du dessin au film joué par des enfants, on y perd en caractère, au profit d’une représentation lisse, et ce malgré toute l’application de Maxime Godard. On a beau faire, on n’y croit pas. Ce gamin-là, beau comme un cœur, plutôt doué, avec sa petite personnalité bien à lui, ce n’est pas notre Nicolas.
Le film comporte bien quelques qualités. Un choix d’acteurs plutôt fin, comme Sandrine Kiberlain en inattendue maîtresse d’école, tant on la voit plutôt dans des rôles plus décalés, ou bien encore plus volontiers en amoureuse, amante, épouse. Valérie Lemercier apporte pour sa part la touche de fantaisie qui manquait à la maman du jeune héros pour la rendre plus consistante et, surtout, apte à fournir quelques scènes vraiment drôles. Kad Merad, quant à lui, il faut bien l’admettre, est toujours aussi bon, drôle et crédible dans son jeu de petit Français moyen à la botte de son patron, toujours amoureux de sa femme et bon papa plein d’humour. Le casting de Nicolas, Clotaire, Agnan et autres Eudes, assez bluffant il faut bien le dire, insuffle au film un ton plutôt réussi, axé sur le regard enfantin sur le monde des adultes. Les décors et costumes, inspirés des années cinquante, parviennent aussi à retranscrire une ambiance un peu désuète pas totalement inintéressante. Bien faite, bien recopiée, mais symptomatique d’une certaine paresse, voire d’un conservatisme, qui touche une majorité de quadras du cinéma français, se citant en plus allègrement les uns les autres, comme si cette plongée dans le passé était le summum de l’originalité et du bon goût. Ici, le symptôme git, entre autre, dans cette citation du film de Barratier, Les Choristes : où l’on voit un Gérard Jugnot peiner devant Nicolas et ses copains, avant de se tourner face caméra pour asséner au spectateur « Je ne pourrais rien faire avec ceux-là » !
Quant à la mise en scène, là encore, elle est honnête. Sans plus. Tout est très classique, des gros plans sur le cancre de la classe quand il ne parvient pas à répondre à la maîtresse, aux courses à travers les terrains vagues de la bande de copains en passant par les cadres sur l’intérieur de la maison de Nicolas. Au risque de se répéter, réécrivons que tout cela est parfaitement honnête, pas mauvais, plutôt bien joué. Finalement, Le Petit Nicolas est peut-être bien un film à recommander aux enfants. Ou aux adultes qui ne connaissent par le livre. Pour qu’ils se ruent dans une librairie en sortant de la salle. Voilà l’intérêt principal d’une telle adaptation.