Au sortir d’une série documentaire qui l’a amené à travailler deux ans dans la maternité de l’hôpital Robert Debré, le réalisateur de documentaires Gilles de Maistre décide de mettre en chantier un film sur la naissance elle-même, qui aurait vocation en passant à « raconter notre condition d’homme ». Vaste programme, dont l’ampleur ne semble pas avoir été finalement assumée par le réalisateur.
Dans l’interview officielle de son dossier de presse, Gilles de Maistre, réalisateur de nombreux documentaires et lauréat de prix prestigieux, lance : « Mon désir était double : communiquer au spectateur le déferlement d’émotions que déchaîne la naissance d’un être humain, et utiliser ce prisme-là pour raconter notre condition d’homme aujourd’hui. » Si l’on peut être frappé par l’ambition derrière les propos du réalisateur, force est de reconnaître que sa carrière en tant que documentariste, et son palmarès critique (avec notamment un Emmy Award et un prix Albert Londres) parlent en sa faveur.
Réduire Le Premier Cri à son aspect documentaire serait cependant faire fausse route, car de Maistre avoue ostensiblement scénariser précisément tous ses travaux — comme il se doit, d’ailleurs. Mais Le Premier Cri possède d’emblée une dimension plus symbolique encore : toutes les femmes suivies par le réalisateur et son équipe au moment de leurs accouchements sont ainsi sensées accoucher en même temps, au moment de la dernière éclipse de lune. Volonté métaphysique affichée, symbolisme maladroit, ou encore tentative de procurer un prétexte à un sujet qui n’en demandait pas ? Le mystère demeure, mais la volonté du réalisateur reste manifeste : montrer qu’à ce moment commun à toutes les femmes, à toutes les sociétés humaines, même si de nombreuses différences persistent, l’essence de la maternité transcende races, cultures et sociétés. Soit. Ce propos œcuménique est certainement justifié, et choisir ce thème pour l’illustrer était une idée pertinente.
Encore eût-il fallu, cependant, que le réalisateur ne se laisse pas dépasser par sa volonté d’universalisme. Le Premier Cri suit les destins croisés de près d’une dizaine de femmes. Croisés, par le truchement terriblement artificiel de la prétendue éclipse qui préside à toutes ces naissances, mais également par un montage dont l’incohérence transparaît toujours plus alors que le film progresse. Après une longue séquence consacrée à l’une ou l’autre des mères en devenir, plusieurs courts passages suivront le destin d’une ou plusieurs autres, sans vraiment de soucis de chronologie (les accouchements sont ainsi « disséminés » tout le long du métrage). De même, certaines mères se voient accorder une importance démesurée, en regard d’autres dont la présence dans le film est presque accessoire (tant de mystères demeurent, notamment, sur les mères japonaises et russes). Malgré une photographie au grain de toute beauté, de Maistre peine à sublimer ses images, jouant à l’écran avec les corps pour mieux appréhender la rotondité — manifestement sacrée à ses yeux — du corps féminin. Mais de ces lentes circonvolutions visuelles, ne reste le plus souvent qu’un sentiment vain, laissé par un réalisateur qui semble vouloir, simplement, trop en faire. Seule oasis de félicité, le passage concernant la plus grande maternité du monde, au Viêt-Nam, où la sobriété d’une mise en scène nerveuse rend justice à cet endroit où se mêlent, plus que partout ailleurs dans Le Premier Cri, les oxymores émotionnels associés à une naissance.
Le Premier Cri est manifestement le fruit d’un travail acharné (l’idée de la patience et de la faculté d’adaptation qu’il a fallu pour parvenir à capturer ces moments laisse pantois), mais il semble que de Maistre n’ait pas réussi, finalement, à dompter ces images. En privilégiant un aspect plus « naturaliste » de l’accouchement (avec notamment une naissance non assistée), Le Premier Cri semble vouloir se faire l’étendard d’une approche new age de la maternité. C’est, certes, une affaire de conviction de prêter ou non de la légitimité aux naissances non assistées, à celles avec les dauphins etc. Mais de poème universaliste, Le Premier Cri verse rapidement dans un prosélytisme qui ne dit pas son nom. Cela finit de grever le traitement, déjà passablement boiteux, du sujet.