Le réalisateur Ali Samadi Ahadi, Iranien exilé en Allemagne, a suivi la « vague verte » de résistance qui a suivi la réélection d’Ahmadinejad grâce aux centaines de vidéos postées par les manifestants. Son documentaire, limpide, reconstitue le fil rouge des événements avec les témoignages filmés, mais minimise ceux-ci avec des séquences d’animation qui n’apportent pas grand-chose.
Le parti pris d’Ali Samadi Ahadi avait tout pour séduire : pour constituer son documentaire, il a choisi de mélanger des vidéos originalement postées sur YouTube, des commentaires d’intervenants, interrogés spécialement pour l’occasion, et, élément le plus notable, des séquences d’animation pour permettre la bonne visibilité des événements les plus secrets, jamais filmés, comme la détention illégale et les tortures qu’ont subies des quidams arrêtés au seul motif d’une citoyenneté douteuse aux yeux du gouvernement. Il s’avère que c’est trop pour séduire : ce dernier parti pris fait entrer le documentaire dans la sphère nébuleuse et imprécise de la fiction, qui peut faire basculer l’ensemble dans un sensationnalisme plutôt inattendu.
C’est malheureusement l’effet produit par près de 42 minutes (soit la moitié du film) de séquences animées qui vampirisent les témoignages sur le vif, et semblent justifier leur présence par le renforcement de la « visibilité » de la révolution iranienne. Sous un style graphique qui fait parfois penser au splendide Valse avec Bachir, les événements s’enchaînent chronologiquement malgré des sauts entre des points de vue épars. C’est que l’esthétisation de la guerre (qui s’arrêtait brutalement à la fin de Valse avec Bachir) n’est ici qu’un accessoire bien utile pour figurer dans des tableaux relativement statiques les deux personnages centraux du documentaire.
Alors, certes, le spectateur profitera d’un cours bien mené sur l’atmosphère bouillante d’un véritable rassemblement des consciences, notamment autour de l’opposant Mir-Hossein Moussavi, mais il restera dans le flou quant à l’impact historique des événements. Se perdant dans le fil des déclarations d’intervenants qu’il ne pourra pas toujours identifier, il se souviendra tout de même d’une petite attaque contre les puissances internationales qui n’ont appliqué aucune sanction à l’encontre d’un régime despotique sorti vainqueur du combat urbain.
Sans doute, un des premiers modèles de révolution moderne a fourni un exemple frappant de l’implication des dispositifs numériques nomades dans la résistance à l’ordre établi, à l’information unique et aux mesures répressives déployées par les régimes autoritaires. Mais ce documentaire, qui semble avoir été sous-titré « l’histoire d’une révolution 2.0 » pour répondre à des besoins promotionnels, manque finalement toute l’étrangeté de ces images d’un pays lointain, captées à l’arrachée dans l’urgence du réel, et que l’on visionne dans un rectangle (un aspect structurant Fragments d’une révolution (2010), qui proposait aussi une précieuse reformulation et remise en scène de ces images). Ironiquement, Ali Samadi Ahadi inclut dans Le Printemps de Téhéran une des vidéos les plus célèbres du mouvement, un plan fixe presque entièrement plongé dans l’obscurité et une voix de femme qui prononce une prière pour son pays. Rien dans l’image ne laisse deviner le drame, après tout la nuit iranienne ressemble à toutes les autres, seul le discours, les sons et le regard du spectateur/visionneur actualisent l’ensemble et font résonner la puissance du témoignage Le seul mérite de l’inclusion est le sous-titrage de la séquence, mais le document rend par là même ses séquences d’animation encore plus platement démonstratives. Comme s’il fallait rendre la révolution – et la répression – cinégénique.