Le Règne de la beauté, le nouveau film de Denys Arcand qui sort en e‑cinéma, s’ouvre, quelques mois après celui d’Eugène Green, La Sapienza, sur la réception d’un prix par le personnage principal qui est architecte. La ressemblance, toute fortuite (en commun par ailleurs des titres pontifiants), peut encore s’appréhender dans le choix d’un couple comme personnage principal, ainsi que dans la mise en avant de la question de l’architecture au cinéma. Cependant pour le reste, les films n’ont plus rien à voir.
Mélodrame érotique de surface
Si Denys Arcand s’intéresse aussi à un couple, évoluant dans la jeune et huppée société québécoise, il n’est pas question ni de récit initiatique et d’apprentissage, ni de comédie de remariage comme dans le film d’Eugène Green, mais de relation adultérine, et autres histoires en tous genres (bisexualité,…) auxquelles sont mêlées le cercle d’amis du couple. L’intrigue principale du film est la rencontre lors d’un jury d’école d’architecture à Toronto de Luc (Éric Bruneau), architecte – marié à Stéphanie (Mélanie Thierry), monitrice de sport dans le Charlevoix –, et de Lindsay, assistante, elle aussi mariée. Si Denys Arcand parvient à filmer très ponctuellement le trouble érotique suscité par la jeune femme chez Luc notamment par le recours à la fragmentation du visage et au flou, le fond de cette love affair reste opaque et sans véritable motivation, tout comme la transformation opérée en Luc, alors que le vague à l’âme de sa femme croît. Nous n’en avons que les émois vendus avec l’affiche du film, et une érotique de surface avec des corps et des visages à la beauté convenue.
Si l’intrigue amoureuse et ses pseudo intrigues parallèles sont traitées de façon bien pauvre, est-ce alors à dire que c’est l’architecture qui intéresse Denys Arcand, principalement représentée par la maison en bois et en verre de Luc et de Stéphanie, pièce architecturale de Pierre Thibault ? Malheureusement face à cet horizon d’attente aucun parti-pris n’est tiré, véritable question (cinématographique) en soi pourtant. Il ne s’agit pas de filmer un architecte, ni sa maison, ni son atelier de travail, ni encore des plans, pour la traiter, cela va de soi.
La Sapienza prenait véritablement en charge la question de l’architecture, analogique du cinéma, à travers la mention des formes en mouvement contenues dans des figures géométriques. L’architecture baroque comme lieu faisant pénétrer la lumière constituait la voie même de la connaissance suprême, la Sapienza, celle du Verbe (ou de la Lumière), son expression directe, et était le modèle même de l’architecture, créant des espaces pour accueillir la lumière nécessaire au bonheur humain.
Beauté surfaite
Denys Arcand assimile en réalité, par le titre même choisi, architecture et beauté, mais il les appauvrit par un traitement ici encore standardisé, que ce soit à travers les architectures filmées, directement issues de magazines d’architecture, ou les paysages québécois à la photographie très National Geographic.
L’intrigue parallèle, moins qu’amoureuse, semble davantage être à considérer dans les séquences sportives en tous genres (chasse, ski, tennis, hockey, golf,… ). On se demande alors si le rêve secret de Denys Arcand n’est pas de réaliser des reportages pour Eurosport, séquences sportives auxquelles il semble accorder une place toute particulière avec une prédilection pour des effets de ralenti pour le moins étonnants. C’est peut-être ce qu’il y a de plus horripilant ici, avec une utilisation systématique de la musique sur tous types de flux (kayak sur l’eau, ascenseur,…).
Si l’architecture constituait une musique figée pour Goethe, formule à laquelle a médité en termes cinématographiques Eisenstein par exemple, ici il n’est donc pas tout à fait question d’architecture ni de cinéma, et la musique quant à elle, comme le recours à ces flux, procédés faciles et convenus, achèvent de faire du film un flow indigeste.
Par conséquent, si de l’architecture et de la beauté il n’est pas question, reste, en cheminant à rebours, celle de l’amour. Mais de cela non plus nous n’aurons pas de réponse, à part, ici encore, la formulation de clichés indigents : les femmes sont plus courageuses que les hommes, on peut tromper sa femme et l’aimer quand même et inversement, on peut aimer plusieurs personnes dans une vie et d’un amour différent, etc.
Eugène Green pour sa part faisait moins le récit d’un remariage qu’un éloge de l’enfantement comme incarnation au sens fort, avec le ventre de Marie fécondé par l’Esprit Saint comme modèle d’une architecture de lumière : comment accueillir la lumière dans nos vies, comment produire du fruit, enfanter, à la manière de Marie (Aliénor est notamment cadrée à la manière d’une Annonciation dans La Sapienza lorsqu’elle est dans la chambre du jeune garçon, Goffredo, autorisant une lecture mariale). Chez Denys Arcand, on ne sait pas de quelle esthétique (beauté) ni de quelle éthique (amour) il s’agit, mais n’y règne pas la beauté, non plus que l’amour, sinon des avatars de surface.