Réalisateur réputé pour des œuvres d’animation plutôt originales, Le Château des singes en tête, Jean-François Laguionie revient sur les écrans avec une œuvre aux possibilités très élargies. Bien que doté d’un univers modulable par ses propres personnages, où la frontière entre le créateur et sa création se déplace constamment, Le Tableau n’est quand même pas aussi ludique qu’on pouvait l’espérer. Il reste un film agréable, honnête, mais un peu banal.
Tout commence dans un espace dont les démarcations sont d’une originalité toute poétique : un tableau inachevé, projeté dans le temps et le relief. Il est peuplé de « Toupins » (une classe bourgeoise, des personnages entièrement achevés), de « Pafinis » (presque terminés, ils se cachent dans la forêt) et de « Reufs » (esquisses aussi rudes dans leurs traits que dans leur personnalité). Comme dans Le Château…, Laguionie entame sur une division très compartimentée de la société, mais on sait qu’il a coutume d’en tirer des dégagements sensibles et imagés. Néanmoins, Le Tableau a d’autres aspirations.
Voir en peinture
Très vite, un groupe de trois personnages, un de chaque fratrie, s’échappe du cadre pour une « quête initiatique ». Initiatique, elle n’en a pas grand chose ; non, il s’agira plutôt pour le cinéaste de s’amuser des possibilités de trois créatures du crayonné au maquillé dans un monde fait de peinture. D’un tableau à l’autre, Ramo, Lola, et Plume partent en quête de couleur pour compléter leur monde. Même déjà vue, leur vadrouille laisse espérer une œuvre tout à fait désinvolte, une évasion où le monde peut se recomposer tout le temps, où les personnages bravent constamment les limites entre l’œuvre et le réel, dansant légèrement de l’un à l’autre. En même temps que l’acte de création est redistribué à l’intérieur même du film, un entrelacement d’œuvres et de réalités se met en place. C’est un labyrinthe aux couloirs cachés, où on a tôt fait de se perdre. Pas juste un de ces courts-métrages où un personnage visiterait une série de tableaux, mais un véritable tissu où on entre dans l’un, on sort dans l’autre, on atterrit dans le réel entre-temps ; bref, on enfreint toutes les frontières possibles.
Bon. Ce programme alléchant affleure véritablement tout le long du film. Mais il ne fait pas plus qu’affleurer. Il n’en est pas vraiment la colonne vertébrale, plutôt un terrain, un lieu – pas le vrai dessein du film. Jean-François Laguionie passe plus de temps à développer une histoire assez convenue sur la différence, l’apparence, les inégalités : un propos assez lassant qui empesait déjà la sensibilité du Château des singes. Pafinis, Toupins et Reufs se côtoient avec suspicion, puis s’apprivoisent, et finissent – sans blague – par découvrir qu’en fait, ils sont pareils, et feraient mieux d’être amis. À ce titre, la fin manque même de rancune : les querelles sont rabotées ; comme s’il n’y avait pas au moins quelques excuses à formuler. Dans Le Château, il y avait une défiance mutuelle, et la réconciliation apparaissait comme une fin juste. Là, on sort plutôt d’une oppression, et ce genre de happy ending est un peu discutable… Enfin, Le Tableau reste un conte comme on aime en montrer aux enfants : humble, coloré, à peu près vierge de toute déviance sexy, violente ou politique. Il leur plaira très probablement, même si c’est qu’on espérait un peu mieux.