… le royaume des cieux leur appartient. C’est du moins ce dont on se souvient, ayant suivi sans grande application quelques heures de catéchèse dissipée. Dédaignant les ouvrages surinterprétatifs de 12.000 pages, les responsables de Légion font dans le littéral, et mettent les crétins à la fête dans un film qui entend peindre une fin du monde avec trois bouts de ficelle et deux idées roublardes.
La fin du monde, l’apocalypse et les anges, c’est toujours une idée amusante quand le fantastique se pique de s’en occuper. Par essence hyperboliques, ces sujets et figures peuvent demeurer intéressantes. Prenez une grande gueule de cinéma comme Christopher Walken, et donnez-lui à jouer l’archange Gabriel : vous obtenez The Prophecy, série B regardable, surtout du fait de la performance d’acteur de Walken et de la démesure narquoise qu’il apporte à son rôle. Avec Légion, le projet est tout autre : le film se focalise exclusivement sur le côté catho cul-bénit. Dieu, en ayant ras-le-bol du tas de mécréants que l’humanité est devenue, décide de faire le ménage, lançant en même temps l’host angélique et la horde démoniaque – après tout, c’est bien lui le big boss. Sauf que l’archange Michel, aux états de service bien connus, ne peut se défaire de son amour pour l’humanité, et descend parmi nous pour sauver la future mère du bébé qui incarne la rédemption et la survie de l’humanité.
Jusque là, tout va à peu près bien. Mais quand le bellâtre (Paul Bettany) s’arrache les ailes (à l’étonnement sincère de l’auditoire) et dévalise une cache d’arme à faire défaillir d’aise un membre premium de la NRA, on se dit 1) que les épées enflammées ne sont plus ce qu’elles étaient, et 2) que, tout de même, l’apocalypse à coups de flingues, ça promet salement (surtout quand Bettany avoue : « j’ai fait Légion pour pouvoir avoir un gros flingue et faire référence à Jackie Chan »). Hélas, il semble qu’au cinéma – comme ailleurs – une promesse n’engage que ceux qui y croient.
Nanti d’un budget tout de même confortable (mais où sont-ils donc, ces 26 millions de dollars ?), Légion n’a malgré tout pas les moyens de ses épiques ambitions, ni le talent de mise en scène qu’il eût fallu pour sauver le film du naufrage. La facture se résume à quelques effets informatiques hérités de l’esthétique du Je suis une légende avec Will Smith – avec tout de même un joli effet de transformation d’un protagoniste en boule de pus explosive superbement gratuit et du meilleur goût. Et lorsque les effets font défaut, le bon prestidigitateur sait que le décorum doit compenser. Pour le metteur en scène Scott Stewart, compenser ce manque signifiera réduire son dispositif dramatique à un huis clos type « le monde en dix personnes, enfermées dans une forteresse assiégée », autrement dit la base du film de zombies – mais avec des démons et anges à la place, donc. Faisons court : face au manque de moyens, la série B se sépare en deux familles – les films malins et talentueux, et les daubes creuses. Légion fait définitivement partie de cette seconde catégorie.
Reste maintenant la question religieuse – parce qu’on ne devrait pas faire impunément un film sur l’humanité éradiquée de la surface de la Terre pour cause de non-conformité biblique impunément, surtout aux États-Unis. Qu’on se rassure, le discours lénifiant sur les Vraies Valeurs est bien là : le mari infidèle, la fille à la jupe ras-le-bonbon, le Noir évidemment porteur d’un flingue… Tout le monde y passe, pour laisser le royaume des hommes libre pour le couple bécasse-enceinte-qui-finalement-décide-de-ne-pas-abandonner-son-môme-et-ça‑c’est-beau et son petit ami le benêt-au-grand-cœur-bon‑c’est-sûr-il-est-idiot-mais-au-moins-il-croit. Finalement, dans l’image qu’il donne du couple, Légion est peut-être bien plus rigolo qu’il n’y paraît. Pas sûr que les scénaristes et réalisateur du film s’en soient rendu compte, cependant.