Loin de la sécurité des plans de développement de Marvel Studios étalés sur dix ans, quelques super-héros de la maison d’édition mère vivent des parcours semés d’embûches dans l’industrie hollywoodienne. Ainsi Spider-Man, passé dans le giron du studio Sony, prépare-t-il sa troisième incarnation au cinéma, après les audaces de Sam Raimi et les automatismes stériles de l’équipe de Marc Webb. La saga des X‑Men, gérée au gré du vent par la Twentieth Century Fox, s’apparente à un grand foutoir vaguement organisé, tenu presque exclusivement (on ne se penchera pas sur les qualités spécifiques de certains films) par le plaisir manifeste et partagé de mettre en scène des freaks déchaînant leurs super-pouvoirs. Quant aux Quatre Fantastiques… Après un nanar presque oublié, produit et jamais sorti en 1994 dans le but unique et avoué de prolonger les droits d’exploitation des producteurs, et surtout la médiocre paire de films — enfin, un médiocre et un nul — réalisés par Tim Story dans les années 2000 sous l’égide de la Fox (encore), les aventures du quatuor mal assorti mais réuni par des transformations non désirées semblaient bien mériter un sérieux rembobinage. S’il n’est évidemment pas très difficile à ce reboot d’être moins honteux que les précédentes tentatives, on pourra néanmoins considérer qu’il y a encore du travail à faire pour convaincre sans réserves…
Un manque
Mené par le réalisateur Josh Trank (dont c’est à peine le second film, après avoir déboulé dans le business avec l’opportuniste film de super-héros en found footage Chronicle), le nouveau Les 4 Fantastiques joue la carte d’une certaine modernité. Outre le fameux geste de progressisme qui a déjà fait hurler les geeks les plus réactionnaires (faire des frère et sœur d’origine deux demi-frères d’ethnies différentes), on note les efforts pour rendre crédibles les personnages d’horizons différents appelés à s’embarquer dans la même galère : Reed Richards le nerd désireux d’en prouver, Ben Grimm le prolo terre-à-terre, Susan Storm la scientifique distante et son flambeur de frère Johnny. C’est appréciable, même si les jeux d’acteurs pour incarner cette crédibilité sont assez inégaux, entre l’épaisseur intrigante de Jamie Bell (adéquate pour « La Chose ») et la fade transparence de Kate Mara (inadéquate, même pour la « Femme invisible »). Cela donne un peu de substance au programme, car le film en a évidemment un : raconter la constitution d’un groupe d’individus apparemment inadaptés à la communauté. La façon de le raconter ne s’avère pas si subtile qu’on n’en verrait pas les ficelles : on distingue bien comme le long métrage se divise en situations où un des héros, pour une raison ou une autre, se trouve séparé des autres, et ce jusqu’à ce qu’à la fin la nécessité pousse les quatre à s’unir indéfectiblement.
Le caractère programmé de ce cheminement se remarque d’autant plus que celui-ci se fait pesant voire un peu hésitant, comme si la machine avait connu des ratés qu’il avait fallu corriger à la va-vite. Le récit semble tâtonner pour chercher plusieurs de ses composantes, à commencer par un vrai rythme, tandis qu’il fait mine de s’attarder sur la genèse des super-héros, mais s’autorise de longues ellipses dont on ressent moins le saut dans le temps que la pure facilité pratique. Le registre souhaité paraît aussi incertain, le film empruntant le ton d’une chronique « adulescente » un brin potache (ainsi l’incident qui confère aux héros leurs pouvoirs est-il favorisé par une beuverie entre buddies…) pour ensuite basculer dans le plus grand sérieux comme si ce qui avait précédé n’était qu’une phase à oublier (on se rappelle que Chronicle suivait une progression analogue, mais était plus attentif à la transition). Enfin, la marche forcée du programme se ressent dans la façon dont sont survolées certaines facettes humaines a priori intéressantes de l’intrigue. On pense notamment au personnage de Victor Von Doom, collaborateur des quatre avant d’être leur ennemi, personnage prometteur (hautain, aux velléités anarchistes, mais pas si étranger au désir d’être accepté) avant d’être gâché : quand un triangle amoureux s’esquisse vaguement entre lui, Susan et Reed, c’est pour être escamoté peu après par un coup de théâtre ; et quand le personnage disparaît du groupe, il ne semble manquer à personne, comme si sa future réapparition en super-vilain était déjà anticipée… Ainsi le film donne-t-il à chaque scène l’impression de chercher un prétexte pour passer à la suivante, et ses efforts louables pour épaissir ces nouveaux Quatre Fantastiques ne sont pas sans achopper sur les aléas de la production hollywoodienne.
Nouvelles chairs
Cela ne fait pour autant de ces 4 Fantastiques un travail désincarné. On sent chez Josh Trank une réelle attention à ses personnages, inégale, parfois supplantée par le mot d’ordre de faire avancer la genèse des héros, mais réelle. Il y a en particulier, dans les quelques scènes suivant « l’incident », ce regard de cinéaste qui partage l’horreur des personnages découvrant ce qui est arrivé à leurs corps, à leur normalité humaine. Les super-héros en devenir ne se définissent plus, alors, par des super-pouvoirs, mais par quelque chose de plus intime et de plus effrayant : une nouvelle nature organique, inhumaine, à laquelle la réalisation tâche de coller de près en ces moments fragiles, faisant d’eux de véritables freaks qui devront apprivoiser leur organisme mutant pour rétablir leur humanité. Cela ne fait pas vraiment vaciller le programme, mais lui donne un petit supplément de chair et d’âme. Il n’est cependant pas certain que passé cet épisode d’exposition, cet aspect subsiste dans la suite déjà prévue. Il faudra trouver d’autres ressources pour confirmer les promesses de cette franchise de cinéma relancée.