Autoconsacré par sa promotion comme héritier des mânes de Dragons, seule réelle réussite de DreamWorks (on pourra discuter ce point concernant Kung Fu Panda 2), Les Cinq Légendes nous arrive donc, promettant de nous rendre l’alchimie miraculeuse du film de Dean DeBlois et Chris Sanders. Hélas, que cela soit dû au matériau d’origine, une série de livres de William Joyce déjà destinée aux plus petits, ou au choix éditorial conscient de la part de DreamWorks, Les Cinq Légendes gâche d’excellents éléments par une paresse formelle étonnante et une mièvrerie éprouvante.
« Le Père Noël et le Lapin de Pâques sont-ils amis ? » À cette question d’importance, posée un jour par sa petite fille de six ans, l’auteur William Joyce répondit par l’affirmative. L’écrivain, parce qu’on ne répond pas impunément de telles choses à des enfants, et accessoirement que c’est une bonne idée de sujet, se lança dans la rédaction d’une série de bouquins destinés aux enfants sur les aventures des « légendes » lorsqu’elles ne sont pas occupées à distribuer des cadeaux, remplacer des dents tombées, etc. L’idée, en soi, n’est pas très neuve : décliner des figures fictionnelles dans un cadre extérieur à celui de leurs œuvres est devenu un exercice fructueux, avec en figure de proue l’importante Ligue des gentlemen extraordinaires.
Le traitement adopté par l’auteur, tel qu’on le retrouve dans Les Cinq Légendes, n’est pas du même ordre que celui d’Alan Moore : on est plus volontiers ici dans la création d’un univers chamarré inoffensif qui ne se préoccupe pas tant de donner corps à des figures mythologiques que d’étendre avec complaisance les idées préconçues attachées aux personnages, sans prendre de risque. Pourtant, le film laisse place à un personnage inattendu, énigmatique, somptueux : la Lune, comme le juge et l’ordonnateur muet des « Gardiens ». On ne saura que peu de choses sur ce regard sélénite, qui pèse tant sur les Gardiens et sur leur destin – une idée remarquable, qui laisse entrevoir un véritable univers créé derrière l’unique idée-procédé des Cinq Légendes. Hélas, c’est ce procédé qui sera mis en avant, transformant le film en catalogue hétérogène d’épisodes autour de l’idée basique de chacun : l’usine à jouets du Père Noël, la bureaucratie affolée des Fées des Dents, le froid enfer qui abrite le Croquemitaine…
Le début, pourtant, est loin de cette structure empilée, sans lien : un rythme doux et mélancolique entoure les premiers instants de Jack Frost – encore une fois, se ressent ce désir manifeste de vouloir créer un paradigme fictionnel, et non simplement d’utiliser une idée-procédé. Mais, rapidement, le personnage – un lutin responsable des morsures du froid, sorte de cousin débile et anodin du Wendigo indien – trouve ses limites. Paradoxalement, le personnage du film semble conscient de son côté superficiel, sans profondeur : lorsque Jack Frost se met en quête de son « centre », ce qui fait de lui un Gardien plutôt qu’un simple esprit élémental, le film énonce du même coup son plus gros défaut. Jack Frost et Les Cinq Légendes n’existe réellement que pour le fun, sans aspérité ni subtilité – une vision du monde imaginaire de l’enfance d’un affreux simplisme, qui coupe définitivement le film de son modèle proclamé, Dragons.
Techniquement, la comparaison également tourne en défaveur des Cinq Légendes : caviardé de scènes de vol destinées à utiliser la 3D à bon escient, le film n’a cependant aucun souffle, dédaignant de se servir du relief pour ne faire que le servir. Les personnages, quant à eux, semblent des poupées de plastiques. Pourtant, le film fourmille de détails truculents et attendrissants, d’une belle inventivité dans les textures, d’une utilisation du second plan remarquable (les elfes, les yétis, les mondes fantasmagoriques en eux-même sont le plus souvent délectables). Pitch, le lisse Croquemitaine modelé sur le personnage d’Edward Cullen dans les Twilight et méchant officiel du film, ne semble intéresser personne : ni les concepteurs graphiques, ni les scénaristes – ni les spectateurs, d’ailleurs. Les Cinq Légendes retombe ainsi dans le travers qui consiste à atténuer, dans les films destinés aux enfants, à bâcler son méchant, à le développer en mode mineur.
Profondément handicapé par son positionnement sans nuance en faveur des tous-petits, Les Cinq Légendes ne fait preuve d’aucune audace, et gâche ses quelques rares moments de réelle créativité. Tout, ainsi, souffre de ce simplisme affligeant, de la beauté graphique au déroulement dramatique, de la crédibilité du scénario à son potentiel réel. Rien ne suscite l’enthousiasme dans ce film qui revient aux pires tares de DreamWorks : un récit formaté pour plaire à des petits qu’on prend pour des crétins.