Les Enquêtes du département V, dont ce Profanation représente le deuxième volet après Miséricorde en 2012, sont issues de romans écrits par Jussi Adler-Olsen. En commun, un duo de flics aux caractéristiques évidemment fort marquées, et une intrigue à la froideur toute scandinave – ce n’est effectivement pas en vain que la promo du film s’épuise à le relier à Millenium, en tout cas en termes de thématique. Seulement voilà, à jouer au jeu des références, on se plie également à celui des comparaisons – et celle-ci ne joue guère en faveur du film de Mikkel Nørgaard.
La florissante littérature policière actuelle a substitué en grande partie au privé solitaire des bouquins de Raymond Chandler le duo de flics, généralement faits pour se compléter l’un l’autre. Chacun de ces personnages fonctionnant comme une chambre d’écho pour son partenaire, le polar tient là une richesse narrative constante et une dynamique intellectuelle bien rodée. Chez Jussi Adler-Olsen, nous avons donc d’un côté le Danois Carl Mørck, interprété par Nikolaj Lie Kaas, personnage de flic consumé par son job, asocial mais brillant, soutenu par son partenaire Hafez el Assad (Fares Fares), un Syrien plus posé – celui des deux à garder les pieds sur terre. Alors que Miséricorde tendait à vouloir poser les relations entre les deux flics, Profanation est le film de Mørck : mis sur la piste d’une affaire vieille de vingt ans par le suicide d’un ancien flic qui lui laisse un dossier de double meurtre sordide en guise de legs testamentaire, ce flic dur ne laissera rien en repos tant qu’il n’aura pas mis un terme à l’enquête. Impuissant, en retrait, Assad va l’assister du mieux qu’il peut tandis que Mørck flirte dangereusement avec les abysses…
Bien respecter les consignes de sécurité
Mise en cause, la jeune génération d’une caste de puissants agissant en toute impunité, multipliant les actions délictueuses et sordides jusqu’à commettre l’irréparable, façon Orange mécanique en blazers et cravates en soie. Déjà à ce stade, la parenté avec le triptyque de Stieg Larsson est sensible. Ce n’en est que plus vrai lorsque le film nous offre son premier personnage véritablement fascinant : Kimmie Lassen (une Danica Curcic proprement habitée), une ancienne membre de la bande désormais fugitive. Au ban de la société, évoluant à la marge et dans les ombres, frappée de folie, Kimmie est une autre Lisbeth Salander, tout aussi fascinante, tout aussi dangereuse… et bien moins originale.
Lorsqu’elle et Mørck se font face, faisant assaut de misanthropie et de désespoir au service de leur cause, le film semble vouloir adopter une approche encore inédite : celle d’une enquête au service d’une morale forcément subjective plutôt qu’à celui de la justice – un film de franc-tireur, aux protagonistes à la noirceur effrayante et séduisante, tandis qu’en marge, les normatifs tels qu’Assad contemplent, impuissants. Mais, parvenu au seuil de l’abîme, Profanation recule, revient dans des sentiers bien plus rebattus, préférant une progression sans heurts, aux ténèbres certes profondes, mais déjà largement explorées – par Stieg Larsson notamment. Le discours du réalisateur Mikkel Nørgaard et de ses monteurs Morten Egholm et Frederik Strunk n’est pourtant pas avare de détails complaisants : prenant le spectateur à témoin, le film va donner régulièrement les clés de l’intrigue à son auditoire, tandis que son duo d’enquêteurs avance à l’aveugle. Saisi d’effroi, le spectateur en sait bien plus que ce qu’il devrait, tandis que les personnages privés de ces informations progressent de façon un peu gratuite. Déterminé à nous plonger dans les ténèbres, Mikkel Nørgaard choisit la facilité au mépris d’un sérieux narratif qui eut été bien plus fascinant – c’est raisonnablement bien fait, mais effroyablement superficiel. Quand on plonge son regard dans les abysses nietzschéen et qu’on entend que les ténèbres nous rendent ce regard, il vaut mieux éviter de rester derrière une vitre protectrice.