Shtetls, Génocide, Héros ordinaires, Libération, Le Long Chemin, Si tu veux la paix, Jamais plus, Musique du cœur, Je ne vous ai pas oubliés. Neuf films documentaires, tous produits par Moriah Films, l’unité cinématographique du centre Simon Wiesenthal. Neuf regards américains, commentés par des stars tels que Ben Kingsley, Elizabeth Taylor, Orson Welles, qui viennent enrichir les films plus connus du public français. De la vie ordinaire des communautés juives d’Europe avant l’holocauste au néo-nazisme des années récentes, en passant par la création d’Israël ou encore la relation de tendresse entre cette professeur de musique israélienne et cette jeune autiste palestinienne, ces films nous convient à porter un regard complet et différent sur les fils d’Abraham.
« Génocide »
Simon Wiesenthal, juif d’origine ukrainienne et célèbre « chasseur de nazis », consacra sa vie à la traque de ces criminels contre l’humanité. Quatre-vingt neuf membres de sa famille sont morts dans les camps d’extermination. Lui a survécu. Il est mort en 2005, mais le centre qui porte son nom, fondé en 1977 à Los Angeles, est aujourd’hui à la pointe des combats pour la préservation de la mémoire, de la Shoah, de l’histoire du peuple juif plus largement, mais aussi des luttes en faveur des droits de l’homme. Le centre s’est ainsi illustré en faveur d’autres causes : le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, ou encore le drame, si complexe mais que certains qualifient de génocide, en cours au Darfour. Représentant plus de 400 000 familles, le centre possède des antennes dans le monde entier, aux États-Unis, au Canada, en Israël, en France et en Argentine.
À l’origine du centre Simon Wiesethal et de Moriah Films, l’unité de production du centre, Rabbi Marvin Hier, également créateur en 1993 du Musée de la Tolérance. C’est sous sa direction que le centre fut consultant de Steven Spielberg pour La Liste de Schindler. En neuf films, le spectateur à l’occasion de mieux saisir une histoire tourmentée, à travers des images d’archives, des reconstitutions, des vidéos inédites, des photos, comme celle du plus célèbre photographe du monde disparu des communautés juives d’Europe de l’Est et centrale, Roman Vishniac, notamment dans Shtetls (1991). Pour ce film, il a fallu une année de plongée dans les archives du monde entier pour tenter de rendre en image ce qu’était la vie des communautés juives avant leur extermination. Un documentaire plus que nécessaire, pour dépasser le stade de l’horreur des images des camps et des corps, pour se rappeler que le régime nazi voulait exterminer non pas des personnes isolées, mais la totalité d’une culture multi-millénaire. Dix ans plus tôt, Génocide (Oscar du meilleur film documentaire en 1981), revenait déjà sur la description de la culture juive, sur l’histoire de l’antisémitisme, depuis la période biblique jusqu’à l’idéologie hitlérienne, donnant la parole aux survivants. Commenté par Elizabeth Taylor et Orson Welles, Génocide, réalisé par Arnold Schwartzman (créateur de plusieurs films courts pour le Musée de la tolérance), a été traduit en quinze langues.
« Le Long Chemin »
Le Long Chemin (oscar du meilleur film documentaire en 1998) est parmi les plus remarquables et les plus originaux des films du centre Simon Wiesenthal, parce qu’il s’intéresse à une période plus rare au cinéma : le chemin de la libération des camps jusqu’à la création d’Israël (1945 – 1948). Allant au-delà des clichés, se plongeant dans les sources idéologiques, psychologiques et historiques menant à la création de l’État juif, il parvient à s’affranchir de tout manichéisme (par exemple en rappelant la résolution onusienne du 29 novembre 1947 pour l’établissement de deux États, arabe et juif, en Palestine) en gardant un angle serré : la force de vie inébranlable de ceux qui ont survécu à l’horreur, le cycle de reconstruction d’un foyer, intime et familial tout autant que politique et culturel. Le long chemin, pour ces survivants, est celui pour leur reconstruction, leur reconnaissance, leur considération. Ces juifs n’étaient pas des revenants de l’enfer, mais des réfugiés sans abri et indésirables, parqués dans des camps européens des années après la fin de la guerre : « Il vaut mieux être un Allemand vaincu qu’un juif libéré ; ils nous détestaient car nous revenions d’entre les morts », dit un rescapé dans le film. Il a fallu le rapport d’Earl G. Harrison (le doyen de l’université de droit de Pennsylvanie) sur la situation misérable dans les camps de réfugiés, pour que les politiques commencent à s’intéresser un peu à leur sort. Et la foi en la vie de ces humains, qui se remarièrent et refondèrent des familles, pour ne pas sombrer encore plus si c’était possible.
À ce sujet, on pourra aussi voir le très beau Pourquoi Israël, de Claude Lanzmann (1972), sorti en DVD il y a quelques mois. Ces deux films ont en commun de se placer du côté des acteurs de la construction de l’État hébreu, pour questionner leurs convictions les plus profondes, au-delà de l’aspect politique et du conflit israélo-palestinien. Et, par conséquent, de traiter de l’histoire d’un pays autrement que par le prisme, pas toujours objectif, de ce même conflit, qui constitue un autre sujet. À l’heure où une poignée d’Israéliens (les journalistes Gideon Levy et Hamira Hass, l’écrivain David Grossman, l’historien Michel Warshawski, le cinéaste Avi Mograbi…) se penchent sur l’histoire de leur pays, questionnant le projet sioniste, n’hésitant pas à critiquer vertement les exactions commises par l’armée dans les territoires palestiniens, et à proposer des pistes nouvelles vers la paix pour les deux peuples, il est bon de porter un regard critique sur les orientations (politiques, sociales, diplomatiques, culturelles et cultuelles…) d’Israël, mais aussi, dans le même temps, de comprendre les raisons qui ont permis son existence. Dans la même veine, on verra encore Si tu veux la paix, retraçant les premières décennies de l’État d’Israël (1948 – 1967), son impact dans le Moyen-Orient et sur la communauté internationale.
« Je ne vous ai pas oubliés »
À saluer par la finesse et la tendresse de son ton, un portrait de Simon Wiesenthal lui-même, justement intitulé Je ne vous ai pas oubliés. Une phrase qu’il avait l’habitude de dire pour résumer l’action de sa vie : « Quand nous serons dans l’autre monde et que nous rencontrerons les millions de juifs qui sont morts dans les camps, ils nous demanderont, “qu’est-ce que vous avez fait ?” Il y aura différentes réponses : l’un dira “je suis devenu bijoutier”, un autre dira “je me suis lancé dans les cigarettes et le café”, un autre encore “je travaille dans l’immobilier”, mais moi je répondrai “je ne vous ai pas oubliés”.» Ce portrait tout en émotion, commenté par la voix de Nicole Kidman, convoquant la famille, les associés et interlocuteurs de Simon Wiesenthal, a fait l’ouverture du festival de Berlin en 2007. Sans doute un des plus beaux hommages qu’on pouvait rendre à cet homme d’exception, dans le pays même qui engendra le régime par lequel périrent tant de ses proches. Serge et Beate Klarsfeld, dont on connaît le minutieux travail de préservation historique, à travers l’Association des filles et fils de déportés de France, rapportent cette anecdote : « Dans les camps, Simon Wiesenthal a eu le courage et la foi de refuser de croire les propos cyniques d’un SS : “Si tu survis et que tu racontes ce que tu as vu, personne ne te croira.” Simon Wiesenthal a vécu et a raconté, tout en gardant son courage et sa foi en l’Homme. » Au spectateur, aujourd’hui, de voir et de raconter, pour les générations futures. Et de lire les mémoires de Simon Wiesenthal, Les assassins sont parmi nous (1967), témoignage d’une vie de lutte, au cours de laquelle il contribua à l’arrestation de 1 100 criminels nazis, dont Adolf Eichmann.