Avec Les Hommes du feu, nul doute que Pierre Jolivet souhaitait déclarer sa flamme à la corporation des pompiers. Par souci manifeste de réalisme, le réalisateur s’est adjoint les services de professionnels pour le conseiller à l’écriture du scénario : en résulte un souci bienvenu du détail et une capacité à faire monter l’adrénaline avant chaque intervention, ce qui permet au film, dans ses rares bons moments, de trouver un semblant de dynamique, l’urgence quasi documentaire étant captée sans excès d’artifices (lumière naturelle, caméra portée, dispositif plutôt léger). L’honnêteté du réalisateur — à défaut du moindre génie dans la mise en scène des différentes situations qui servent à illustrer ces moments de bravoure — s’en trouve récompensée tant Les Hommes du feu ne peut être suspecté de roublardise et reste fidèle à son objectif premier. Mais par respect excessif envers ses personnages, le réalisateur semble néanmoins incapable de se saisir pleinement de leurs ambiguïtés, de sortir des sentiers battus, de construire un hors-champ, d’agrémenter son récit d’ellipses, nous donnant la désagréable impression de regarder un ennuyeux catalogue de situations d’urgence qui doivent absolument répondre à cette prérogative énoncée par le personnage joué par Émilie Dequenne dans les premières scènes : la chance du pompier, c’est de ne jamais sombrer dans la routine. Pourtant, même sans être volontaire, on ne peut pas croire que le quotidien de ces hommes et femmes du feu ne soit pas par moments ponctué de répétitions, d’un ennui passager, d’une lassitude, d’une fatigue physique, autant de symptômes qui auraient permis au film de dévier de sa trajectoire toute tracée. C’est que le film de Pierre Jolivet est beaucoup trop attaché à produire un discours : chaque scène et chaque ligne de dialogue doivent avoir leur sens, être absolument signifiants pour permettre aux sentiments conflictuels des personnages (la culpabilité, l’impuissance, la colère, etc.) de trouver le moyen de s’incarner à l’écran.
Les artifices
Fraîchement arrivée dans une petite caserne de l’Aude, l’adjudant-chef Bénédicte (Émilie Dequenne) est chargée d’encadrer une intervention sur le lieu d’un grave accident de voiture. L’opération se déroulant dans des conditions difficiles (obscurité, pluie battante, blessés complètement hagards), Pierre Jolivet tire dans ce cas précis parti du retrait qui caractérise le plus souvent son cinéma : ne collant au point de vue d’aucun des personnages, le réalisateur restitue presque malgré lui le chaos qui règne et le sang-froid dont les pompiers doivent faire preuve pour rester maîtres d’une situation qui les dépasse. Mais, probablement conscient qu’une succession de scènes d’intervention du même acabit ne suffira pas à maintenir une tension dramatique, le réalisateur-scénariste encombre son récit d’une faute professionnelle qui ouvre la voie à une enquête interne et à des tensions artificiellement gonflées entre les pompiers de la caserne autour de la question de l’égalité hommes/femmes. Les conflits donnent d’ailleurs lieu aux scènes les plus embarrassantes du film, les personnages féminins surlignant sur le mode de l’hystérie ce que l’enjeu posait déjà de manière suffisamment explicite. Ces tensions, par ailleurs, ne cherchent jamais à nous mettre en situation d’inconfort tant le récit s’évertue à tracer une ligne claire entre l’altruisme et l’égoïsme qui caractérisent unilatéralement les uns et les autres (Bénédicte face à son mari par exemple) ou bien à laver chaque situation de tout le soupçon qui pouvait peser sur elle (la responsabilité de Bénédicte dans la prise en charge de l’accident, son collègue Xavier qui n’est finalement pas le salaud que l’on croyait, etc.). Même si Pierre Jolivet tente par endroits de s’extraire de ce didactisme binaire (notamment via le personnage de Philippe, directeur de la caserne et fasciné par la pyromanie autant qu’il la combat), Les Hommes du feu reste invariablement prisonnier des maigres enjeux qu’il s’est évertué à distiller sur 1h30.
Les pompiers en visite
L’enchaînement redondant des scènes d’intervention constitue l’autre grosse limite du film : souhaitant offrir un panel de situations représentatives du quotidien de travail des pompiers, le réalisateur confronte successivement ses personnages à une scène d’accident de voiture, d’incendie, de suicide, d’accouchement, de violence conjugale ou encore d’émeute dans une cité voisine. Pour cette dernière, probablement pas très à l’aise avec l’idée qui pourrait émaner de cette confrontation, Pierre Jolivet, en bon cinéaste de gauche souhaitant teinter son film d’un discours progressiste (l’égalité homme-femme, l’intégration d’un gay dans l’équipe), cherche manifestement à disculper son propos de toute stigmatisation, prêtant à ses personnages un discours volontariste qui refuse de céder à la peur et au rejet. Mis à part cette scène qui obligeait à davantage de prudence, les pompiers traversent invariablement les drames auxquels ils sont confrontés. Ce n’est pas la relative distance des personnages face à ce dont ils sont témoins qui constitue en soi un problème (même s’il aurait été préférable que le réalisateur garde cette ligne et ne cède pas par moments à des excès de sensiblerie, notamment lors de la découverte du corps d’une suicidée), mais plutôt la temporalité répétitive du récit, incapable d’intégrer à cette mécanique trop huilée des contretemps, des moments plus creux qui permettraient au film de s’étendre sur une durée plus diffuse, plus abstraite, moins circonscrite à la monotonie ensoleillée d’un seul été méditerranéen. Chaque scène trouve ainsi sa propre résolution (la mission est remplie, le geste accompli, les doutes sont levés), laissant le sentiment d’enjeux compartimentés et totalement recroquevillés sur eux-mêmes. Pierre Jolivet aurait certainement gagné à faire preuve d’un peu moins de prudence mais son admiration pour l’engagement des pompiers l’empêche de bousculer ses personnages de quelque manière que ce soit.