En regardant à nouveau le clip de REM, « Losing My Religion », réalisé par Tarsem Singh (The Cell, The Fall) on pourrait comprendre pourquoi celui-ci a eu envie de réaliser Les Immortels, péplum fantastique : le symbolisme mythologique et le potentiel visuel d’un combat entre Bien et Mal l’ont probablement séduit. Ce que l’on ne parvient pas à comprendre, c’est l’absence de performances d’un blockbuster qui roule sans cesse des mécaniques.
C’est un pitch bien connu, au schéma adapté au film à grand budget : un roi sanguinaire, violent et athée, Hypérion (Mickey Rourke) cherche à dominer le monde en libérant les Titans, d’anciens dieux enfermés dans les profondeurs du mont Tartare pour cause d’insoumission. Thésée (Henry Cavill, futur Superman), héros grec en devenir, va gâcher les plans du despote avec l’aide de quelques dieux (Zeus, Poséidon, toute la bande). Pour les besoins de l’allégorie, la simplicité du caractère des dieux peut être excusée, mais les dialogues qui étayent le film s’avèrent inintéressants et convenus. Ceux qui en font le plus les frais sont les personnages secondaires, inexistants, invisibles : Stephen Dorff ne fait même pas un bon second couteau, et l’oracle (Freida Pinto), vierge pour obtenir ses pouvoirs, cédera vite aux règles du blockbuster, laissant tomber sans aucune résistance sa tunique pour les besoins des canons du genre, qui ont visiblement décidé à la place des scénaristes.
Tarsem Singh le raconte à qui veut l’entendre : il s’est inspiré des toiles du Caravage pour l’identité visuelle de son long-métrage, qualifiant l’éclairage utilisé de « lumière du doigt de Dieu ». Sur le papier, l’intention est louable, surtout que Les Immortels peut difficilement renier sa qualité de blockbuster. À la limite, si Singh parvenait à doter sa superproduction d’une identité visuelle généralement absente de ce genre de film, pourquoi pas. Mais le clair-obscur du peintre, que le réalisateur et son équipe cherchent à tout prix à recréer, se traduit à l’écran par une image considérablement falsifiée, baignée dans une artificielle lumière jaune, à peine contrastée. Toutes les scènes de combat, retouchées à outrance en postproduction sont d’une laideur comparable à celle de 300, référence affichée pour Tarsem Singh. Il y a bien quelques idées plastiques, de la « mer d’huile » au sens propre pour la meilleure, au casque-fruits de mer de Mickey Rourke (la honte) pour la plus laide, mais la plupart des éléments sont déjà vus : la surabondance de ralentis et la violence gore renvoient aux jeux vidéo type God of War (le titre original du film était War of Gods…), tandis que le combat final est filmé en travelling latéral, un tic tenace depuis Old Boy.
Difficile de ne pas percer à jour les velléités économiques des producteurs qui imposent au spectateur une 3D superflue, qui n’est jamais utilisée pour augmenter la profondeur de l’image, à l’exception de la dernière séquence, un combat dans le ciel assez risible. Toute scène un tant soit peu exploitable en matière de composition se retrouve frappée par une malédiction : des effets spéciaux qui ne font que gâcher l’ensemble. On peut avoir les meilleurs pinceaux et pigments, le résultat est rarement un chef‑d’œuvre. L’attaque de Poséidon, entre une chute de météore et un imagier sorti d’un Superman sans moyens, est à ce titre une vraie scène symptôme.
Le (maigre) substrat psychologisant de l’épopée s’avère assez drôle dans un film qui se prend très au sérieux, en plus : Hypérion fait des hommes ses esclaves en les faisant castrer par un sbire qui leur assène un gros coup de marteau dans les parties. En rivalisant ensuite avec Thésée pour mettre la main sur un arc magique, c’est à une sorte de course à la virilité qu’on assiste (il faut bander l’arc pour faire apparaître des flèches magiques, blanches et ultra-rapides…). Mais, même pour un film « de mecs », une simple histoire de taille, c’est un peu court.