Il y a quelques mois, la première bande-annonce des Noces rebelles était lancée sur Internet. On y voyait deux silhouettes familières mais légèrement transformées, avec ce sentiment étrange de retrouver deux personnes dans un contexte différent de celui dans lequel on les a connues. Parce que c’était lui, parce que c’était elle : en quelques plans, cet avant-goût de Revolutionary Road (titre original) semblait offrir une seconde vie aux amants malheureux de Titanic, suggérant une suite plus réaliste et amère de leur idylle adolescente avortée. Kate et Leo mûris, Rose et Jack réactivés, et la voix grave et douloureuse de Nina Simone entonnant Wild is the Wind sur les images du délitement d’un relation amoureuse : difficile de ne pas y voir le rêve hollywoodien poussé à son paroxysme.
Dès l’annonce de sa mise en production, Les Noces rebelles est un projet qui a suscité une excitation palpable chez les cinéphiles de tous bords : réunir Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, le couple désormais mythique du plus gros succès commercial de tous les temps, voilà de quoi alimenter la machine à fantasmes. L’idée remarquable – et un rien perverse – de les réinventer sous forme d’un couple en crise vient de Kate Winslet elle-même, fascinée par un roman de 1961 signé Richard Yates (La Fenêtre panoramique), qu’elle suggéra à son époux Sam Mendes. À la fois projet de prestige et réunion familiale, Les Noces rebelles attise une curiosité tant cinéphilique que voyeuriste qui donne au film une saveur toute particulière.
L’action se situe dans la banlieue de New York, en 1955 : Frank et April Wheeler, 30 ans tous les deux, vivent dans un joli pavillon avec leurs deux enfants. Mais rien ne va plus : Frank se sent mourir à petit feu dans un job qui ne le satisfait pas et trompe son ennui et sa femme avec un peu de Martini et une secrétaire peu farouche. April, quant à elle, a abandonné sa carrière de comédienne pour endosser le rôle de femme au foyer et désespère de retrouver le goût de vivre. Malgré ses rancœurs et ses frustrations, le couple va se retrouver autour d’un pari un peu fou : tout plaquer pour vivre à Paris.
L’image est somptueuse, les costumes et les décors sont impeccables et le tout confère au film un aspect extrêmement policé. Mais la forme sert remarquablement le fond : les Wheeler donnent l’image d’un couple parfait mais sous le vernis des apparences, l’aigreur a pris le pas sur l’harmonie et la passion des débuts. Les premières minutes donnent le ton en confrontant la rencontre des deux amants à une violente dispute, quelques années plus tard. Frank et April s’aiment, mais ne peuvent se résoudre à admettre que leurs rêves de jeunesse sont déjà derrière eux. April y croit encore, Frank en a fait le deuil et le film va s’attacher à démontrer, de façon quasi clinique, que malgré de nouveaux espoirs, le chemin vers la tragédie est inéluctable. Il est déjà trop tard.
Sam Mendes, délesté de la désagréable ironie qui pourrissait American Beauty, parvient à rendre palpable l’immense tristesse de ces destins sacrifiés sur l’autel des conventions. Le film resserre son étreinte sur ce couple qui se débat comme deux papillons sous cloche. Les Wheeler étouffent, et nous avec eux. Le cœur serré, on les regarde croire à un nouveau départ dont on sait pertinemment qu’il n’arrivera jamais. C’est une bien belle façon, pour Winslet et DiCaprio, de boucler la boucle sur les doubles fictionnels qui leur ont tant collé à la peau pendant toutes ces années : fini le temps du drame romantique au final tragique mais éternellement gravé dans le cœur des spectateurs. L’envers du décor n’a pas la saveur des retrouvailles mais bel et bien le goût amer du poison. Les adolescents rêveurs sont devenus des adultes inquiets et pessimistes.
Les Noces rebelles pourrait ainsi être un très grand film, sublimé par de multiples degrés de lecture qui l’élèveraient au-delà du drame hollywoodien standard. Mais en quelques années, les tourtereaux naïfs de Titanic sont devenus des stars aguerries aux enjeux économiques de l’industrie. Pour qu’un tel film passe à la postérité, un oscar ou deux sont indispensables. Mendes et ses deux comédiens jouent le jeu à fond et plombent le film de ces effets inutiles qui consistent à surligner chaque émotion, chaque ligne de dialogue avec un maximum de savoir-faire. Il y a d’abord ce scénario qui, progressivement, s’obstine à tout dire, tout expliquer dans une diarrhée verbale qui ne laisse aucune place à la suggestion. Il y a aussi ces seconds rôles caricaturaux qui semblent n’exister que pour créer un contrepoint à l’histoire du couple mais, finalement, se révèlent bien inutile. Il y a, enfin, ce piège dans lequel les deux comédiens se jettent la tête la première : les petits effets, tics et mimiques, accents parfaitement singés et regards obliques qui ravissent les votants aux Oscars. Globalement très bon, DiCaprio est celui qui pourtant tombe le plus facilement dans le panneau. Reste alors la sublime Winslet, pas à l’abri de ce genre de facilités mais qui parvient malgré tout à bouleverser. On oublie tout, pourtant, lorsque commence la marche funèbre d’un final irrémédiablement sordide. Les deux acteurs enterrent une bonne fois pour toutes leurs rêves (accomplis, ceux-là) de jeunesse. Si l’on est aussi ému, c’est probablement parce qu’en les regardant tirer un trait sur ce passé, c’est aussi une partie de nos jeunes années qui s’en vont.