Il n’y a jamais eu autant de comiques et de comédies à gros budget en France et, pourtant, on y a rarement si peu ri : humour lugubre, vanne réflexe, beauferie généralisée… Aussi, quand un réalisateur académique qui pète plus haut qu’il le devrait réunit la fine fleur du cinéma « rigolo » français sous le signe du football grâce à l’argent de Canal+, il y a comme un fumet nauséabond dans l’air. La nullité sidérale de nos comédies, plus encore que de nous affliger, inquiète.
Certains films sont tellement dénués d’enjeux et d’intentions qu’ils en deviennent totalement transparents quant à l’abjection qui les anime. Un titre comme Les Seigneurs, par exemple, dit bien à quel niveau de la hiérarchie humaine le parterre de vedettes qui compose le casting se situe. Durant l’affreuse promo télé du film, on n’a cessé de vanter l’abnégation de ses derniers qui, stoïques, ont daigné dormir chez l’habitant, à Molène, petit îlot perdu et breton. Le gratin de la comédie française se mêlant aux pedzouilles du Finistère – tu parles d’un événement ! – que l’histoire du film charge d’un signifiant lourd de sens puisque les « stars » y sont appelées à la rescousse pour renforcer l’équipe de foot du patelin de bouseux, afin de le sauver de la faillite. Ainsi fonctionne le vedettariat à la française : il ne renvoie le peuple qu’à son inutilité, lui rappelle à quel point il est laid, pauvre et sans talent, à quel point sans eux il n’est capable de rien, bon qu’à une chose, l’acclamer, ce qu’il fera d’ailleurs durant tout le film. La morale du supporter est la dérive féodale vers laquelle tend inexorablement toute société sous domination médiatique : la star n’est plus là pour faire rêver mais pour nous imposer un ordre social dont elle incarne la voix dominante. La nullité de l’humour des comiques par exemple n’est qu’un moyen de vérifier et maintenir l’efficacité de cette voix-là. Le pouvoir de faire rire sans être drôle est une terrifiante démonstration de soumission.
Voilà pourquoi le film n’a même plus besoin de scénario ni même de gag mais juste d’un prétexte pour prétendre à la drôlerie. Prétexte à réunir le casting, prétexte à le faire côtoyer le commun des mortels (représenté par Jean-Pierre Marielle, pas mauvais mais usé), prétexte à le filmer : ici, le football. Les rôles ne sont plus tant « taillés sur mesure » entre clin d’œil et autodérision que les symptômes assez lucides de l’état actuel de chacun des comédiens. Gad Elmaleh : pris au piège de sa posture de pitre à tout prix, terrifié à l’idée de perdre son public, Franck Dubosc : condamné à revenir éternellement à son registre de faux bellâtre, Ramzy Bedia : grand dadais fêtard et inutile quand il veut faire cavalier seul, JoeyStarr : agrippé à son image de brute rebelle mais définitivement embourgeoisé, Omar Sy : brimé par la bonne conscience raciale du cinéma français qui ne saura pas faire de lui autre chose que le gentil Noir de service même s’il vaut mieux que ça, et enfin José Garcia : qui n’a jamais su transformer l’essai, devenu totalement aigre après une carrière qui a oscillé entre demi-succès et navets périmés durant laquelle son jeu s’est complètement racorni. Ils ne sont pas beaux à voir. Entre leurs mines patibulaires et leurs regards haineux, la célébrité et le fric ont rongé tout le quota de sympathie qu’ils pouvaient encore charrier au début de leur carrière respective. Leur cabotinage sinistre et amer, sur lequel ils n’ont plus ni recul ni contrôle, n’est guidé que par les stigmates hystériques d’un vieux numéro déprimant de clown Paillasse et sape impitoyablement toute chance de créer une cohésion de groupe entre eux, indispensable aussi bien au foot qu’à la comédie.
Il faut reconnaître cependant qu’ils ne sont pas aidés par Olivier Dahan, plus incompétent que jamais. Infoutu de produire le moindre effet comique, incapable de créer un peu de tension lors des tirs au but (ce qui est quand même un comble !), il nous sert en guise de réalisation une « gerboulade » informe, véritable dégueulis d’image qui survole le film sans jamais rien accrocher, nous balançant son récit comme on vide un seau d’eau sale dans le caniveau. C’est pourquoi le plan de Ramzy vomissant face caméra – c’est-à-dire à la gueule du spectateur – (gag récurrent qui n’inspire que consternation et accablement), symbolise le mieux le film, sa visée, l’estime dans laquelle il tient son public uniquement là pour recevoir ses déjections. Il faut voir comment tout semble rafistolé au montage, comment le travail sonore (à base de jingles « pouêt-pouêt » pitoyables) tente de sauver les meubles. L’excès de nullité ne témoigne pas seulement d’un manque de talent, surtout dans un film aussi gorgé de pognon télévisuel, mais également d’une déconnexion totale de ce que signifie regarder un film, preuve manifeste que ceux qui les font ne s’identifient jamais au spectateur, qu’ils ne veulent surtout pas être à sa place, que ça les dégoûterait. Ils ne sont obnubilés que par une chose, rester du bon côté de l’écran, du côté de ceux qui font l’image plutôt que de ceux qui la subissent, c’est-à-dire du côté du pouvoir.