1987 – 2007 : pour ses vingt printemps, la famille la plus vénérée du petit écran aux États-Unis se paie un long métrage attendu comme le messie par ses fans du monde entier. Peut-être un poil trop tard, râleront certains, qui n’auront pas tout à fait tort : à force de malmener avec un humour féroce les travers de l’Amérique moyenne, la série télé n’étonne plus guère, même si elle a su rester largement au-dessus du panier malgré les heures de vol (vingt années d’existence, chose rarissime à la télévision américaine). Pourtant, Les Simpson – le film vient en quelque sorte remettre les pendules à l’heure : quel programme aussi populaire et indéboulonnable peut encore se targuer aujourd’hui, aux États-Unis, d’égratigner la société qu’il représente, en prenant bien soin de n’épargner rien ni personne, et en premier lieu le sacro-saint « politiquement correct » ?
Les Simpson, le film n’offrira aucune surprise véritable à ceux qui attendront de ce passage au grand écran des révélations extraordinaires : le graphisme sommaire, les couleurs criardes, les personnages phares sont bel et bien là, et c’est à peu près tout – tout au plus a‑t-on droit, au détour d’un gag assez hilarant, au pénis de Bart, ce qui est la moindre des choses pour un personnage qui montre régulièrement ses fesses depuis vingt ans. En prenant le contre-pied de l’attente presque surréaliste autour du film, Matt Groening (le créateur de la série) et David Silverman (réalisateur du film) se concentrent sur les possibilités scénaristiques qu’offre la durée (1h30, soit trois fois un épisode) d’un long métrage. Et puisque Les Simpson, c’est, avant tout, l’histoire d’une famille, d’une ville (Springfield) et de ses habitants, le film va s’attacher à nous raconter comment Homer va provoquer la quasi destruction de son patelin, être rejeté et abandonné par les siens pour, finalement, les reconquérir et sauver l’humanité – ou, tout du moins, Springfield.
Figure centrale de la série, Homer Simpson est le héros du film, au détriment de la plupart des autres personnages – même de Bart – étrangement absents. C’est que l’enjeu est tout autre : en évitant le piège du film-compilation qui se contente d’aligner les passages obligés pour satisfaire son public, Les Simpson, le film est la déclinaison somme toute logique d’un objet pop qui a bâti sa renommée sur une habile exploitation des grandes références culturelles américaines – ciné, télé, rock, politique, tout y est passé, dans le seul but de dresser un portrait aussi corrosif qu’attendrissant d’une nation de grands enfants élevés aux Donuts. Quel médium plus adapté que le cartoon aux couleurs acidulées pour parler d’une société souvent régressive ? Et quel (anti-)héros mieux désigné que l’affreux, sale et méchant Homer Simpson ? En lui offrant 1h30 pour démontrer l’étendue de sa bêtise crasse ainsi que sa capacité à, de temps à autre, se transcender pour offrir le meilleur, Matt Groening et son équipe offrent à Homer Simpson l’occasion d’être plus que jamais le porte-drapeau d’une culture que l’on adore détester – ou que l’on déteste adorer, c’est selon. En un mot : Homer/USA, même combat.
Le film rend hommage à ce que le cinéma américain pop-corn a produit de plus significatif : action, amour, humour, grands espaces et machinations machiavéliques sont passées au shaker pour servir au public « la plus grande aventure familiale de tous les temps » promise par l’affiche. Dans ce clin d’œil pas si ironique que ça, on peut se contenter de voir un grand épisode de 1h30 pimenté des sujets en vogue actuellement aux États-Unis, en premier lieu l’écologie, et soupirer en regrettant d’être un peu déçu, comme on pouvait s’y attendre : parfois un brin dégoulinantes, les tribulations des Simpson défendent des valeurs somme toute assez traditionnelles. Mais on peut aussi recevoir cet objet cinématographique finalement peu commun comme un cadeau joliment respectueux de Matt Groening à un public fidèle, un film solidement ancré dans une tradition populaire, qui ne vient à aucun moment renier ni pervertir l’œuvre sur laquelle il se base : après tout, les Simpson n’ont jamais cherché à être plus que le reflet de l’Amérique profonde, celle qui a élu Bush Jr à deux reprises (lequel a pourtant déclaré souhaiter que « la famille américaine moyenne ressemble un peu moins aux Simpson »). En soi, un divertissement honnête, pas révolutionnaire, mais souvent très drôle et, surtout, au regard toujours aussi pertinent sur l’Amérique et ses contradictions. De quoi donner envie de continuer à suivre les aventures télévisées des Simpson pendant les vingt prochaines années.