John Lennon n’en finit pas d’exciter les mémoires : pour les vingt-huit ans de sa mort (est-ce un anniversaire ?), deux films sortent à une semaine d’intervalle pour rappeler l’engagement de l’auteur d’Instant Karma (Les USA contre John Lennon) et sa mort (Chapter 27). Un documentaire et une fiction qui font revivre une époque et un symbole mais perdent pour le premier tout esprit analytique et, pour le second, tout esprit cinématographique.
Il faut être bien fou aujourd’hui pour toucher au chanteur des Beatles, d’Imagine et symbole des années 1960 et 1970 alors que l’Europe se reconstruit et que les États-Unis sombrent peu ou prou dans la guerre du Viêt-Nam. Et ce n’est d’ailleurs pas le but de ces deux films qui ont en commun l’idée de la reconstitution, rarement très habile, d’une époque de libération. Le documentaire John Lennon contre les USA est cependant bien plus intéressant que la fiction de Jarrett Schaefer : il a déjà le mérite de la recherche d’archives étonnantes sur John Lennon. Alors que John Sinclair est condamné à dix ans de prison pour quelques grammes de cannabis, les bombardements au napalm s’intensifient… 1969 marque ainsi la réelle entrée de John Lennon (icône donc écouté) sur la scène politique américaine que l’on connaît à l’époque pour sa grande tolérance. Entre concerts de soutien et manifestations divers, une contre-culture apparaît alors : le mouvement post-Woodstock a cela de curieux (et les amalgames du film de David Leaf et John Scheinfeld en sont un témoignage contemporain) qu’il est composé de combats extrêmement divers comme le pacifisme, la libération sexuelle, la cause noire… Les archives montrent assez bien la conjugaison dans cette lutte de l’idolâtrie pour Lennon et de la naissance de nouvelles idées, de nouvelles envies populaires. Entre des images de manifestations anti-Vietnam et celles, fameuses, des bed-in de Lennon et Yoko Ono, on retrouve, avec plaisir il est vrai, l’originalité d’un couple dans une période de transition joyeuse et violente.
Lorsque Lennon déclare que « les Beatles sont à présent plus célèbres que Jésus », les antagonismes se dévoilent dans toute l’horreur conservatrice : on revoit alors les scènes de délire religieux dans le sud des États-Unis, et surtout d’autodafés des disques du groupe anglais destinés à envoyer au diable ces hérétiques. Les USA contre John Lennon a donc l’avantage de remettre au goût du jour un certain nombre d’archives qui ont aujourd’hui gardé toute leur force. Mais, tout comme Chapter 27, le film sombre (moins rapidement que ce dernier ceci dit) dans une émotion de pacotille sans conscience. Le flot d’entretiens n’a presque aucun intérêt : on y voit pourtant défiler des figures comme Yoko Ono (qui versera sa petite larme), Angela Davis ou Bobby Scale qui ne sont tout de même pas n’importe qui, et dont le discours pourrait être nettement plus intéressant que celui même de Lennon, tout à fait limité. Derechef, la voix off cadre le film dans un ton plus adapté à un Hollywood Stories sur Arnold et Willy qu’à une véritable enquête. Trop d’amplification, trop de construction artificielle sont les défauts du documentaire, mais surtout les principaux de la fiction qui suit le parcours du meurtrier de Lennon. Il est 22h52 en ce 8 décembre 1980 lorsque Mark Chapman, un fan fou furieux, tire sur Lennon devant son immeuble. Chapter 27 comme Les USA contre Lennon montrent le fanatisme ‑sans le remettre en question ou y réfléchir un instant- qui s’était créé autour d’une même personne. Mais les deux réalisateurs ne se placent justement pas en réalisateur mais en fans.
Revenons à nos moutons fictionnels pour présenter Chapter 27 : Mark Chapman est instable, obsessionnel et fan de Salinger (on pourrait être rassuré qu’il ne lise pas Nietzsche, philosophe de chevet de tous les meurtriers de la fiction américaine). Sa schizophrénie le poussera donc au crime : comme tout meurtrier célèbre est potentiellement un rôle à oscar, on va engager un acteur en devenir, lui faire prendre trente kilos et lui donner un air mystérieux grâce à des lunettes à doubles foyers et un pull crado. Jared Leto, ancien toxicomane de Requiem for a Dream, a donc tenté d’imiter De Niro pour Raging Bull et est rentré physiquement dans un personnage qui n’existe, dès le départ, pas à l’écran, à la sensation. Boursouflé, filmé dans des vapeurs ou au ralenti, Mark Chapman n’est pas l’être ordinaire qui bascule dans la folie. Il est dès la première minute l’assassin de Lennon qui, dans un déterminisme absolu développé par le film, tuera son idole. La direction d’acteur, très plate et assez ridicule, va de pair avec un symbolisme crétin qui parsème le film. Lindsay Lohan (oui, rien que le nom fait frémir), joue ainsi une autre fan de Lennon qui attend avec Chapman le passage du Dieu… et, surprise, elle s’appelle Jude : vous imaginez le nombre de « Hey Jude » du film. Le film est ainsi une très lente montée vers le meurtre ‑scène de dénouement d’ailleurs ratée- dont on attend longtemps, longtemps, le point final.
La représentation d’une telle figure musicale et politique (philosophique diraient certains mais n’exagérons rien) n’est évidemment pas aisée alors que les Beatles sont toujours les icônes de la génération qui n’a connu ni les premiers concerts à Liverpool ni l’offensive du Têt. Mais, presque trente ans après la mort de Lennon, on aurait attendu moins de naïveté autour de son personnage. Le problème de ce genre de films est que l’hagiographie prend systématiquement le pas sur la mise en perspective historique ou tout simplement sociale. Il est clair pourtant aujourd’hui que le monde (et certainement la France) manque d’artistes réellement engagés et qu’une réflexion sur ce qu’était l’engagement, au-delà du point de vue purement scandaleux, dans les années 1970, aurait été passionnante. Malheureusement, l’ombre de Lennon a sans doute été trop pressante pour que les réalisateurs qui se sont frottés à son histoire fassent œuvre de modernité, et non de nostalgie un peu plan-plan.