Douze ans après American Beauty, à l’heure où la télévision américaine a repris les codes du cinéma indépendant américain labellisé Sundance pour mieux les ringardiser, quel est l’intérêt d’un film comme Les Winners ? Cette petite comédie inutile, ni bonne ni réellement mauvaise, manque tellement d’ambition et d’inventivité qu’elle en deviendrait presque attachante (Tom McCarthy, le réalisateur, peut remercier ses acteurs). À voir quand il n’y a plus rien d’autre à voir, pour se rappeler qu’autrefois, dans les années 1990, Hollywood a été dominée par Miramax et ses films faussement décalés, auxquels Les Winners fait tristement penser.
Avec sa tête de cartoon qui serait subitement venu à la vie (ce type semble né pour incarner Homer Simpson), Paul Giamatti est l’acteur-type du cinéma indépendant triomphant des années 1990 – 2000, grâce au succès critique et public de films comme Sideways ou American Splendor. C’est un bon comédien, qui a raté la marche vers le sommet du podium (La Jeune Fille de l’eau de M. Night Shyamalan, qui devait le transformer en leading man incongru, a été le désastre que l’on sait) et doit aujourd’hui se contenter de seconds rôles dans des films de studio ou des premiers dans des panouilles indés, en attendant une probable reconversion dans une prestigieuse série du câble, comme l’atteste son interprétation très remarquée il y a trois ans dans la mini-série historique de HBO, John Adams. Le retrouver dans Les Winners, nouveau film de Tom McCarthy (qui avait nettement plus convaincu avec l’émouvant The Visitor, en 2008), fait tout de même un peu de peine : n’y avait-il rien de plus croustillant à se mettre sous la dent que cette comédie sans saveur qui semble avoir été déjà vue cent fois ?
Comme tout produit indé qui espère toucher un large public (à la Little Miss Sunshine), Les Winners prône des valeurs fédératrices (la solidarité, l’amitié, le dépassement de soi) dissimulées sous un vernis pseudo-cool (dialogues incisifs, personnages décalés) et un discours sur notre société (hier : l’explosion de la cellule familiale ; aujourd’hui : la crise économique). Avec, toujours, la même morale : quand rien ne va plus, la famille, y’a que ça de vrai. Ici, un avocat dans la dèche, entraîneur de l’équipe de lutte locale à ses heures, devient le tuteur d’un vieillard sénile pour arrondir ses fins de mois. Il se retrouve avec un ado fugueur dans les pattes, petit-fils du papy, qui se révèle être un jeune lutteur prodige. Bien entendu (quoi d’autre ?), l’un et l’autre vont voir leurs vies bouleversées.
Le problème de ce type de film, c’est que la télévision américaine s’est emparée des mêmes thématiques, idéales pour le genre feuilletonnant, et les a complètement transcendées. Dans une veine relativement identique, bien que beaucoup plus sombre, le chef d’œuvre télé de Vince Gilligan, Breaking Bad, ridiculise littéralement toute tentative cinématographique d’atteindre de tels sommets de complexité (scénaristique et formelle). Même des productions moins ambitieuses ont l’air plus légères, plus folles (The United States of Tara, Parenthood, The Big C). Ramassée sur 1h46, l’intrigue de ces Winners semble courir après la bonne idée (les personnages qui disent «~shit~» à tout bout de champ, le meilleur pote beauf et nouveau riche qui s’improvise entraîneur) sans parvenir à masquer la frustration des scénaristes à ne pas pouvoir creuser des pistes narratives ou des héros prometteurs. Lorsque le film s’achève, l’impression d’avoir vu l’honnête pilote d’une nouvelle série sympathique est, à ce titre, assez révélatrice… Les acteurs, tous très justes, font le job avec conviction, surtout Amy Ryan, parfaite dans le rôle de l’épouse grande gueule. Où a‑t-on vu ce visage taillé au couteau et ces yeux perçants ? Dans des séries comme The Office et In Treatment, où elle fait des merveilles. CQFD.