Pour son premier long métrage, Bruno Ballouard témoigne de nombreuses ambitions, toutes plus louables les unes que les autres. À commencer par celle, perceptible au détour de chaque plan, de revisiter un véritable genre cinématographique en soi (le triangle amoureux) qui, de François Truffaut à Christophe Honoré en passant par Sautet, Eustache ou plus récemment Benoît Jacquot, ne laisse pas d’inspirer le cinéma français (à des degrés de réussite très divers). Lili Rose, variation sur ce thème à la fois usé et inépuisable, n’hésite pas à emprunter des détours inattendus, jouant sans cesse sur la digression et la déception, mais peine hélas souvent à aller au bout de ses belles promesses.
Car le film commence plutôt fort, et plutôt bien. Bruno Ballouard plante sa caméra dans un espace quotidien (une petite ville de province, sa place centrale, ses petites maisons) en y filmant surtout les corps qui lui donnent vie, avec la volonté de les révéler progressivement à eux-mêmes, à leurs désirs, et à leur potentiel érotique. Il y a d’abord Xavier, un peu loubard à l’ancienne, grande gueule à souhait, joueur de poker à ses heures ; Samir, son compagnon d’infortunes, aussi doux et timide que Xavier est rugueux ; et Liza, jeune femme bien rangée qu’ils rencontrent chez elle lors d’une soirée dans laquelle ils se sont incrustés. Lorsque Liza surprend son futur époux en train de peloter une inconnue, elle quitte son domicile au milieu de la nuit et rejoint les deux compères pour une virée impromptue au bord de la mer, qui ne tarde pas à se transformer en escapade de longue durée.
Prendre le large
Filmer une fugue, l’évasion d’un quotidien morne vers l’inconnu, propice aux rencontres et au danger, c’est s’exposer au risque de l’hésitation et à l’exercice périlleux des décrochages. Malheureusement, Bruno Ballouard ne parvient jamais vraiment à lier le cheminement intime de son trio aux personnages secondaires qu’il croise sur sa route. Plus d’une fois, le film sombre dans l’anecdotique un rien forcé, où les quelques visages connus (Thomas Chabrol, Catherine Jacob) semblent être ici pour assurer une présence symbolique qui a surtout pour effet de détourner le film de son propos. On aimerait s’attarder plus longuement sur les regards qui se croisent entre Samir, Liza et Xavier, ou que Bruno Ballouard creuse un peu plus le désir qui nait entre les trois, qui ne se résumera hélas qu’à deux (jolies) scènes où on les voit se donner les uns aux autres. Mais, comme si le trio ne se suffisait pas à lui-même, le cinéaste préfère le confronter à des figures mal dégrossies, souvent artificielles, qui sont paradoxalement censées les renvoyer à leur propre besoin de liberté. Sorte de référence absolue dont l’ombre tutélaire plane sur le film, Les Valseuses revient constamment à l’esprit pour sans cesse desservir Lili Rose, qui semble alors convenu et terriblement emprunté, malgré ses qualités formelles et ses acteurs généreux. C’est dommage, pour un film qui prône l’ouverture et l’épanouissement…