En 1873, pour avoir pris une part active dans la Commune de Paris, Louise Michel est déportée en Nouvelle-Calédonie. Dans ce huis clos exotique, qui durera sept ans, la Vierge Rouge sédimente son refus de l’injustice, son féminisme viscéral, son humanisme intransigeant, son anticolonialisme d’instinct… Une rebelle est arrivée sur l’île. Une anarchiste l’a quittée.
« Le drapeau français abrite aussi pas mal d’imbéciles qui ont le malheur d’être très écoutés. » À plus d’un siècle de distance, sous la plume de Sólveig Anspach et Jean-Luc Gaget, Louise Michel, la pasionaria de la Commune de Paris, renvoie à distance historique certaine le désormais trop célèbre Éric Zemmour dans ses cordes, lui et ses séides pas forcément aussi médiatiques, mais tout aussi réactionnaires. Il est clair que le nouveau film de Sólveig Anspach ne plairait pas au chroniqueur du matin chez RTL et polémiste de nuit pour Laurent Ruquier. Difficile pour ce contempteur du deuxième sexe de voir une femme peinte en leader d’opinion, capable de soulever les foules de son vivant, et de voir bien longtemps après sa mort deux films français titrés quasiment coup sur coup de son patronyme.
Un an et demi après la comédie de Benoît Délepine et Gustave Kevern, et son joli succès public, voici déjà en salles un biopic à la gloire de ce symbole de la lutte sociale, pas anodin en pleine période de crise économique, de celle que ses adversaires politiques qualifiaient de « Vierge Rouge » ou de « Bonne Louise », incapables qu’ils étaient de sortir du vocabulaire religieux, la caricaturant sainte pour mieux la nier femme. Se penser en égal de l’homme est tout un pan du combat de Louise Michel. Quasiment sa ligne directrice, en tout cas pour Sólveig Anspach. La réalisatrice islandaise, donc née elle-même sur une île, la filme refusant de subir un sort autre que les hommes, superbe scène où l’héroïne menace de se suicider avec une baïonnette. Elle veut vivre sa déportation sur le même îlot qu’eux. En leur compagnie, affrontant l’exil comme ils ont défié la mort sur les barricades, ensemble.
N’en déplaise à Zemmour et consorts, Louise Michel version Anspach refuse l’exception du genre, même si elle en aurait obtenu plus de confort dans sa détention. Elle ne se conçoit pas comme autre, comme un être inférieur, devant être soumis à plus d’attention car plus douillet ou soi-disant plus fragile. Non, par rapport à l’homme, elle se pense comme un équivalent, contestant d’ailleurs toute forme de prostitution, au nom du respect de son corps, donc de soi. Tour de force du scénario, Louise Michel n’apparaît jamais comme une féministe agressive, border lesbienne, détestant les hommes d’un seul bloc, misandre comme des Zemmour sont misogynes. Au contraire, elle est aussi proche d’une Nathalie Lemel, excellente Nathalie Boutefeu, que d’un Charles Malato. Avec l’un comme l’autre, son amitié est un dialogue intellectuel, où le contact physique n’est pas exclu, où l’on peut se prendre dans les bras quand les mots deviennent superflus.
Loin des clichés véhiculés sur la révolutionnaire, Sólveig Anspach décrit une Louise Michel charmée par Victor Hugo, son mentor, avec lequel elle entretient une correspondance suivie, et même amoureuse, portant la robe noire en deuil de Théophile Ferré, communard fusillé par les Versaillais, disparition qui fit réclamer à Louise Michel sa condamnation à mort lors de son procès pour succomber aux mêmes balles que son bien-aimé. Pas de pureté donc chez cette Louise Michel, incarnée par une Sylvie Testud magistrale, incandescente. Même pas sa recherche folle dans une trajectoire de possédée à la Dostoïevski. Juste une candeur désarmante, une volonté de rester debout, intègre dans sa révolte à l’opposé du dandysme poseur d’un Rochefort, très bon Blancan, ne niant pas la condition humaine et les passions qui la traversent, mais cherchant à la porter au plus haut, au plus beau, dans un contact rapproché avec la nature, dans un mélange équilibré des sexes, et des races.
Tout au long du film, Louise Michel cherche le contact avec la population autochtone, non sans appréhension face à l’étranger, mais avec confiance. Institutrice de métier, elle cherche à dépasser une communication entravée par la différence des langues, à faciliter un partage des cultures qui n’est pas l’affirmation d’une supériorité de petit blanc à la Kipling, où le sauvage doit se travestir en occidental comme le beau personnage de Daoumi, mais un réel échange d’expériences, en l’occurrence de chansons, là aussi magnifique séquence. Quand en 1878, les Kanaks entrent en rébellion contre leur colonisateur, ne supportant pas entre autres de voir leurs femmes volées et leurs champs d’ignames détruits, Louise Michel prend leur parti, ne croyant pas que la « discrimination, c’est la vie », mais qu’il faut la combattre, car elle ne sème que la haine, et ne débouche finalement que sur une violence qui n’épargne aucun camp, et ne produit que des vainqueurs bien temporaires.
Le plus intéressant est qu’elle se positionne ainsi contre la plupart de ses amis déportés, et même des kabyles déportés de l’Algérie colonisée, qui sont allés combattre les insurgés aux côtés des militaires, chargés pourtant de leur surveillance. Modèle de contradiction qui renvoie à notre Zemmour d’origine berbère, au nom tout de même bien métèque, embarqué dans une étrange croisade assimilationniste forcenée où l’immigré a tôt fait de devenir bouc émissaire. D’une grande actualité, Louise Michel, la rebelle trace en creux le portrait de bien des problématiques qui traversent depuis longtemps la société française. Format téléfilm, tellement fauché qu’il s’en trouve corseté dans son ampleur, parfois trop didactique, ce bel ouvrage n’en renferme pas moins de jolies envolées, à la mélancolie revendiquée, et d’un niveau plus qu’encourageant pour les futurs projets de Sólveig Anspach.