Beaucoup ont été séduits par La Reine des pommes, premier long-métrage de Valérie Donzelli qui ouvrait une jolie brèche dans le cinéma intimiste français. Personne n’avait vu venir La guerre est déclarée, succès surprise mérité de l’an passé, tant critique que public. Tout le monde attendait de pied ferme Main dans la main. Si ce troisième film n’est pas à la hauteur du précédent, souffrant des limites de sa fantaisie, il charme cependant par son évidente sincérité.
Le coup de foudre est un bien étrange mystère. Sur ce constat, Valérie Donzelli trouve matière à prolonger l’exploration des typologies amoureuses qui alimentent son cinéma. Après la rupture (La Reine des pommes) et la mise à l’épreuve d’un couple (La guerre est déclarée), il est ici question de la fusion, inexplicable, de Joachim, miroitier de province, et d’Hélène, directrice de l’école de danse de l’Opéra de Paris. De la séparation à la rencontre en passant par la consolidation, sa filmographie bouscule ainsi la chronologie des sentiments, créée un joli désordre qui nourrit sa dramaturgie comme sa mise en scène, un joyeux foutoir, à l’image de cette séquence dans une soirée branchée qui vire en bataille de macarons. Cependant, cet art de la relâche, loin de tout abandon facile à l’hystérie, insuffle une bizarrerie dans le quotidien et transforme la vie en un conte où se côtoient légèreté et mélancolie.
Donzelli porte ce sujet jusqu’au bout de son irrationalité en unissant ces deux êtres que tout oppose (âge, milieu social, ambition) par un charme surnaturel. Une force étrange attire en effet Hélène et Joachim qui échangent un baiser dans un recoin de l’Opéra. A l’encontre du schéma traditionnel du conte, ce baiser ne délivre pas les protagonistes mais scelle leurs destins. A partir de là, sans qu’ils comprennent pourquoi ni comment, ces deux-là ne parviennent plus à se quitter, au sens le plus prosaïque : ils restent littéralement collés l’un à l’autre, dupliquant leurs gestes dans un mimétisme qui parodie la fusion amoureuse en la démystifiant, sabrant d’emblée la question du désir. L’arbitraire d’une telle situation évacue toute sentimentalité et psychologie : ne reste donc que ces corps dépareillés comme métaphore de l’amour.
Le film prend ainsi une tournure chorégraphique dont on retiendra quelques jolies scènes : celle où Joachim pénètre le monde de sa belle en lui interprétant une pantomime de Pina Bausch en langage des signes, révélant ainsi une sensibilité inattendue ; celle, sommet d’un absurde farceur, dans laquelle ils testent les yeux clos le parfait décalque de leurs gestes ; celle où Véro la postière, sœur de Jojo (interprétée par Donzelli elle-même, avec cette déconcertante sincérité capable de retourner les plus grosses caricatures en déclaration d’amour pour ses personnages), répète un concours de danse. Au champ envahi par cette énergie spontanée répond peu à peu un contrechamp, occupé par sa famille et surtout Hélène et son amie Constance de La Porte, gagnées par un déhanché contagieux.
Car il y a de cela dans ce film, une forme de contagion qui synthétise par le burlesque la rencontre et la douleur. Cette fusion, en effet, véhicule une souffrance que le film distille en traitant de la jalousie, à travers les personnages de Véro et Constance, binômes délaissées. La gestualité traduit la dualité de cette union capricieuse, entre découverte de l’autre et symptôme d’une dépossession de soi, laquelle poussera Jojo à s’éloigner, pour se retrouver, avant de revenir vers Hélène pour une rencontre plus « conventionnelle ». Ce retournement narratif a le mérite de sortir Main dans la main d’une succession de gags guidée par le seul accomplissement de son pitch. Toutefois, cette seconde partie s’étiole quelque peu en retrouvant les codes de la comédie romantique. Elle montre alors les limites d’un film qui fonctionne tant sur sa belle idée de départ qu’il ne peut pas vraiment gagner la ligne d’arrivée sans perdre un peu de cette fantaisie qu’a adoptée la cinéaste dès son premier film, tournant ainsi le dos au naturalisme austère d’un certain cinéma d’auteur français. Sa fantaisie ne cédait en rien au calcul de la séduction pop, tant l’honnêteté qui en déborde témoigne de la primauté d’un regard par-delà tout effet de pose auto-satisfaite. Mais ici, et alors qu’elle était moins la fin que le moyen, elle s’affaiblit comme seule finalité.
Reste que la cinéaste parvient à renouveler une approche intimiste qui échappe toujours à la tentation nombriliste. Il est encore ici subtilement question de soi, même si ce dernier long-métrage se révèle moins ouvertement autobiographique que le précédent film. Main dans la main, c’est à nouveau un chant d’amour de Donzelli à Jérémie Elkaïm, un film sur l’impossibilité à quitter son complice. Cette déclaration qui célèbre le jeu riche de l’acteur, son air lunaire et sa diction particulière, a pourtant son revers : elle laisse de côté l’autre Valérie du film, Lemercier, figée de ses chaussures à sa moue peu inspirée, qui peine à donner corps à Hélène… le comble pour un film travaillé par le corporel. Alors, et pour une fois dans ce cinéma tout en gracieuses disproportions, le film souffre de ce déséquilibre, jusqu’à devenir bancal.